Dies Iræ à la Basilique de Saint-Denis
Un projet musical conceptuel encourageant l’éveil aux enjeux de notre monde, en complicité avec l’Orchestre Philharmonique et le Chœur de Radio France.
Dès même l'installation du public au son de percussions et de haut-parleurs, le programme illustre en musique et dénonce en intention les violences de la guerre : depuis la Battalia de Biber jusqu'à Black Angels de Crumb composé un an après le Festival de Woodstock durant lequel Jimi Hendrix dénonce lui aussi à sa façon la guerre au Vietnam (dans une prestation ici projetée en une brève intervention vidéo, saturée tant visuellement que sonorement, sur le mur d’entrée de la basilique-fond de scène de ces concerts).
L'objet de ce programme est de mettre en garde contre l'inaction climatique, source de guerres actuelles et à venir (ce spectacle a été présenté à la COP 26 de Glasgow).
L’œuvre de Biber est notamment agrémentée d’une improvisation subtile du pianiste Anthony Romaniuk, qui tient aussi le clavecin à d’autres moments, ajoutant au mélange des genres.
Les musiciens, membres de l’Orchestre Philharmonique de Radio France sont menés par la très énergique Patricia Kopatchinskaja qui offre sa fougue à cet univers très surprenant, voire déroutant, mêlant avec intensités ses mouvements et ceux de différentes pièces. Le métier des compositeurs fait appel à de nombreuses techniques de jeu non conventionnelles, col legno (frapper les cordes avec le bois de l’archet), polytonalité (plusieurs tonalités superposées donnant une impression de superposition de consonnances différentes), ou encore utilisation de verres en cristal. Les contrastes sont affirmés, saisissants comme le propos.
Ce concert déborde même de la scène. Des artistes du Chœur de Radio France font entendre a cappella le Crucifixus d’Antonio Lotti, placés dans la nef, au milieu du public, et disposés en cercle autour de leur chef Lionel Sow. Placés ainsi, la projection de leur voix part dans des directions différentes et l’effet spatial sous les hautes voûtes de la basilique n'en est que plus marquant, et surprenant comme celui des trombones qui les suivent et viennent noyer l’espace sonore d’un vrombissement volontairement intempestif.
Le Lachrimæ antiquæ novæ de Dowland accompagne ce qui ressemble à un cercueil amené depuis le couloir central. Celui-ci est en réalité une simple caisse de bois qui sert d’instrument de percussion pour Patricia Kopatchinskaja, entourée de huit contrebassistes pour l’intrigante Composition n°2 "Dies Iræ" de Galina Ustvolskaya. Le Chœur de Radio France débute enfin une procession au son du chant grégorien Dies Iræ, les musiciens armés de métronomes se plaçant dans tous les coins de la basilique avec une lampe qu’ils éteignent lorsque leur instrument se tait. Ne reste que le tactus (battue sur le tempo) de Patricia Kopatchinskaja, seule sur scène, le regard fixe et décidé.
Cette soirée conceptuelle, construite avec des œuvres particulièrement puissantes et avant-gardistes surprend nombre de spectateurs, qui interprètent et vivent fort différemment le titre de cette proposition : "Combien de temps nous reste-t-il ?", entre le malaise de quelque rire étouffé, ou des signaux d'impatience sans se soucier de gêner leurs malchanceux voisins captivés.
Cela n’empêche néanmoins pas la majorité du public de se montrer reconnaissant et d'applaudir les musiciens rejoints sur scène par l’importante équipe technique pour les saluts.
L’horloge qui orne la tribune, sous l’imposant orgue Cavaillé-Coll, le rappelle pourtant, aussi nombreux qu’ils pouvaient l’être, les métronomes ont fini par se taire dans la pénombre. Après la violence, le silence…