Samson et Dalila plongés dans le conflit israélo-palestinien à l'Opéra d'Avignon
Le metteur en scène vise à suivre l’esprit de l’œuvre en actualisant le propos, en dressant un parallélisme entre le conflit biblique opposant les Hébreux et les Philistins (dont le nom a donné celui de Palestine), avec celui entre Israéliens et Palestiniens (ce que confirment les choix de costumes signés Ana Garay). À ceci près que les descendants des Hébreux se retrouvent ici par moments victimes, et par moments agresseurs.
Des policiers représentant dans cette mise en scène les soldats Israéliens agressent les Palestiniens, tandis que la bacchanale est transformée en exécution publique par égorgement de quatre femmes Israéliennes la tête couverte par les Philistins. Le tout entraîne des hordes de réfugiés comme celles malheureusement coutumières à travers les siècles.
Le spectacle est puissant visuellement, présentant des images très fortes, violentes parfois, dans l’hyperbole et même l’hypobole : avant même l’ouverture, une foule d’Hébreux entrent un à un sur scène dans un silence absolu et regardent dans le vide, contemplant peut-être avec tristesse l’état du monde et s’interrogeant sur leur propre avenir et celui des générations futures. Le plateau est peu décoré, si ce n’est par le mot ISRAËL, écrit en énormes lettres blanches ensanglantées, représentant un état omniprésent pendant tout le spectacle, puis qui s'élèvent et disparaissent avant la fin, le tout accompagné des lumières de Pedro Yagüe. Des flashs infos et des images de zones de guerre sont également projetés sur deux grands écrans (vidéos de Pedro Chamizo).
Ce ne sont pas les piliers du temple que fait ici tomber Samson, mais il appose simplement ses mains sur les écrans de télévisions, suffisant à faire tomber ce monde et tous les humains par terre.
La mise en scène ajoute également une journaliste, sur scène, caméra à l’épaule interprétée avec investissement par Charlotte Adrien (elle se montre énergique et très investie dans son rôle, jusqu’au moment où elle se fait tuer au plateau).
La mezzo-soprano française Marie Gautrot interprète Dalila d'une voix chaude et soyeuse, très élégante et délicate, avec un phrasé aussi fin de ses débuts à ses fins de phrases soignées, avec une grande souplesse (suivant les états d’esprit de son personnage). Son expression vocale et corporelle est très parlante, immergée, d'un amour convainquant Samson et le public avec, dans la richesse de ses nuances. Elle sait aussi exprimer la haine à travers son regard et son expression plus dure lorsqu’elle trahit son amant. Elle est ovationnée lors des saluts.
Le ténor belge Marc Laho interprète un Samson imposant avec une forte présence, dynamique et dramatique sur scène (alors que la production le prive de sa force physique héroïque). Il fait montre d’une voix lyrique, chaude et bien projetée, qui remplit bien la salle sauf lorsqu’elle est couverte par moments par l’orchestre. Son chant homogène et très précis s’appuie sur une belle tenue et diction. Ses aigus en voix pleine sont clairs et puissants, mais un peu serrés parfois (d’autant qu’il sait recourir à la voix de tête).
Nicolas Cavallier est un Grand Prêtre de Dagon redoutable. Il impose son charisme dans son costume ressemblant plutôt à un cheikh et dans chacun de ses passages, avec la maturité de sa voix aux graves bien soutenus et toujours très sonores (dont la rondeur et la puissance s’accordent au jeu du personnage).
Jacques-Greg Belobo qui interprète le vieillard hébreu impressionne l’auditoire dès les premières notes grâce à sa voix charnue et naturellement puissante aux graves caverneux, accompagnée d’un joli vibrato omniprésent (mais certains de ses graves les plus profonds manquent de sonorité). Également basse et comme ses collègues, Eric Martin-Bonnet interprète Abimélech avec une voix riche et puissante. Le timbre est sombre, les aigus et médiums très sonores et percutants, et les graves restent timbrés (quoique perdant un peu en puissance). Les Philistins Cyril Héritier, Julien Desplantes et Jean-François Baron présentent des voix claires et sonores, emplissant la salle de leurs brèves interventions. Jean-François Baron, blessé à la cheville pendant les répétitions, s’appuie sur son jeu et le rythme de ses collègues, tout comme la mezzo du Chœur de l’Opéra, Clélia Moreau.
Les Chœurs de l’Opéra Grand Avignon alliés à ceux de l’Opéra de Toulon (dirigés respectivement par Aurore Marchand et Christophe Bernollin) assument leur rôle central dans cette œuvre et production, faisant preuve d’un engagement ardent et d’un bon équilibre des tessitures (même en chantant depuis le paradis, en salle : comme des voix du ciel inondant l’acoustique).
Au plateau, ils participent activement à la mise en scène, incarnant peuples hébreu et philistin / israélien et palestinien avec les nombreux figurants. Cette production créée en 2019 au Festival Internacional de Teatro Clásico de Mérida a en effet le mérite d’inviter sur scène et d’inclure en tant que figurants des amateurs de théâtre et des enfants avignonnais, ainsi que des personnes en situation de handicaps.
La chorégraphie de Carlos Martos de la Vega est orchestrée en cohérence avec la mise en scène. La diversité des corps en mouvement donne une intention forte à ces passages, avec le Ballet de l’Opéra Grand Avignon, qui dégage une énergie impressionnante, via des mouvements traduisant l'intense diversité des intentions : délicats ou secs selon la scène.
L’Orchestre National Avignon-Provence est dirigé par le chef Nicolas Krüger avec une battue qui dénote une grande sensibilité et musicalité. Malgré quelques petits décalages initiaux avec les Chœurs, la fosse produit un son homogène et très nuancé, avec force ou délicatesse dans un style pleinement en adéquation avec l’esthétique et l’écriture de la partition.
Le public apprécie énormément cette production et remercie les artistes pendant de très longues minutes, malgré quelques huées sonores pour le metteur en scène. Certaines personnes dans le public vont même jusqu’à demander un bis, demandes étouffées par les vagues d’applaudissements et de piétinements du public.