La tendre Grisélidis triomphe du Diable à Montpellier
Créée à l’Opéra Comique en novembre 1901 (entre Louise de Gustave Charpentier l’année précédente et Pelléas et Mélisande de Claude Debussy en 1902), Grisélidis se présente comme un conte lyrique en un prologue et trois actes. Le livret a été élaboré par Armand Silvestre et Eugène Morand d’après leur propre pièce Le Mystère de Grisélidis présenté sur la scène de la Comédie Française en 1891. La légende de Grisélidis n’était pas nouvelle pour autant et fut déjà utilisée antérieurement à plusieurs reprises, dont par Charles Perrault l’auteur des fameux contes. L’histoire est simple : le Marquis de Saluces, époux de Grisélidis, part pour la croisade. Certain de la fidélité de son épouse, il défie le Diable de tenter sa femme durant son absence et lui remet imprudemment son anneau de mariage en gage. Celle-ci résiste avec vaillance aux assauts du Malin qui n’hésite pas à se transformer en différents personnages (un marchand d’esclaves, un vieillard perclus…) pour la confondre, quitte à faire apparaitre le berger-poète Alain, amour d’enfance de Grisélidis et même à enlever Loys, le jeune fils du couple. Ce portrait de femme fidèle et constante triomphant du Diable tentateur a durablement séduit Massenet, qui mettra toutefois plusieurs années à finaliser le projet tant son activité s’avérait alors débordante. L’action est ici transposée dans la Provence médiévale et se présente sous la forme d’un « mystère » au caractère obligatoirement mystique, avec notamment cette fin miraculeuse fortement teintée de religiosité où Loys est rendu à ses parents par l’intervention de Sainte Agnès. Il règne dans cet ouvrage certes une part de poésie naïve, mais aussi de fantastique et de surnaturel par la présence d’un Diable roublard et bouffon, se révélant somme toute bien peu efficace dans sa mission et qui se fera ermite en guise de conclusion.
Vannina Santoni incarne Grisélidis avec une sincérité désarmante, mettant son soprano de velours, ses aigus fermes, ses demi-teintes expressives au service de ce personnage attachant, avec ça et là quelques petites aspérités certes infimes relevées, le concert se situant juste dans la continuité de l’enregistrement complet de l’ouvrage effectué par le Palazzetto Bru Zane. Et au 3ème acte, une voix un peu plus ferme de ton et d’ambitus, à la manière de celle de la créatrice du rôle la wagnérienne Lucienne Bréval, eut été de meilleur aloi.
Elle trouve en Thomas Dolié, justement dans le duo de suspicion et de réconciliation entre les deux époux à l’acte 3, un partenaire inspiré et d’équivalence. Sa voix de baryton sonne ferme et juste.
Massenet a réservé au personnage d’Alain les parties les plus ardues de la partition. Son superbe air d’entrée, qui ouvre d’ailleurs l’ouvrage, Je vais revoir Grisélidis, entraîne le ténor du Mi bémol grave au Si bémol aigu. Il en sera de même lors du duo de séduction avec Grisélidis. Julien Dran se joue avec délectation et toute l’aisance requise de ces difficultés tout en incarnant un Alain amoureux et sincère.
La mezzo-soprano Adèle Charvet dans le rôle plus secondaire de Bertrade (suivante de Grisélidis), déploie un matériau vocal capiteux et d’une grande stabilité, aux couleurs mordorées et pleines. Elle détaille la Chanson d’amour provençale du 1er acte avec maîtrise et une belle longueur de souffle.
Thibault de Damas offre sa voix de baryton-basse toute de résonnance et suffisamment grave au Prieur, tandis qu’Adrien Fournaison, autre baryton-basse, s’empare avec conviction du rôle de Gondebaud. Antoinette Dennefeld incarne pour sa part avec beaucoup d’entregents et de musicalité le personnage de Fiamina, l’épouse du Diable et son double en mauvaises actions. Elle ne cesse pourtant au 2ème acte de le harceler, de lui crier dessus et même de le gifler ! Ce qui donne au Diable la possibilité d’interpréter son air si singulier se terminant par un rigodon, Loin de sa femme qu’on est bien ! Conçu par Massenet pour le doyen de la salle Favart, le comédien-chanteur Lucien Fugère, ce personnage atypique, l’un des derniers Diable du répertoire lyrique, est décrit comme couard, peureux, par moment un rien grandiloquent, imposteur aussi et bouffe surtout. Il dispose d’une écriture vocale spécifique que Massenet met particulièrement en relief. Tassis Christoyannis, après son Falstaff lillois, rôle souvent interprété salle Favart par Lucien Fugère justement, ne fait qu’une bouchée du Diable boiteux. Entre juste truculence et démesure maîtrisée, il offre un festival tant vocal que scénique complet dans le cadre de la version de concert ici proposée.
Le Chœur de l’Opéra placé en coulisses -il intervient de façon sporadique- a été fort habilement préparé par sa cheffe habituelle, Noëlle Gény. Ces voix invisibles évoquent avec luminosité les couleurs de l’au-delà. Placé à la tête de l’Orchestre national Montpellier Occitanie, le chef canadien Jean-Marie Zeitouni montre sa grande connaissance de la musique de Massenet dans ses diverses périodes esthétiques -il a dirigé Werther et Chérubin déjà à Montpellier et Cendrillon à Nancy. Il donne toute sa substance et sa plénitude à la partition et lui impulse toute le climat harmonique qui sied.
Enregistré sur place pour une parution l’année prochaine, Grisélidis sera présentée toujours en version concertante et avec la même équipe artistique au Théâtre des Champs-Elysées le 4 juillet prochain, en clôture de la 10ème édition du Festival Palazzetto Bru Zane Paris : le public parisien y réservera certainement le même accueil chaleureux que le public montpelliérain.
En attendant, voici la version enregistrée en 1994 avec Michèle Command (Grisélidis) Claire Larcher (Fiamina) Brigitte Desnoues (Bertrade) Jean-Philippe Courtis (Le Diable) Jean-Luc Viala (Alain) Didier Henry (Le Marquis) Christian Tréguier (Le Prieur) Maurice Sieyès (Gondebaud), les Choeurs de Lyon et l'Orchestre Symphonique Franz Liszt de Budapest, direction Patrick Fournillier :