Des Huguenots à chant et à sang à Marseille
Après Guillaume Tell en 2021, Louis Désiré propose à Marseille une nouvelle production des Huguenots, qui n’y avaient plus été donnés depuis 1967. Son parti-pris de mise en scène reste toutefois flou, et ce n’est pas le feuillet distribué en salle, qui fait l’inventaire des qualités que Meyerbeer n’a pas, ni la page dédiée à la production sur le site internet de l’Opéra (« Les amours impossibles entre Karine Deshayes et Enea Scala feront sans doute les choux gras de la presse musicale ») qui permettent d’y voir plus clair. Certes, un rapprochement est fait avec La Reine Margot de Dumas, la liaison qui y est romancée entre Marguerite et le Comte de La Môle étant ici mise en scène, sans que cela n’ait toutefois le moindre impact sur la dramaturgie globale. Certains passages apparaissent même confus, notamment à l’acte III (Marcel et Valentine sont par exemple assis l’un à côté de l’autre, se donnant la main, alors que le texte indique qu’ils ne se voient pas, ne s’entendent pas, ne se reconnaissent pas encore), dans lequel le ballet peine à être meublé théâtralement. Les décors et costumes de Diego Méndez-Casariego sont conçus dans une modernité inspirée de l’époque et offrent en tout cas de beaux tableaux : parfois, l’on en demande pas plus.
Finalement, le grand intérêt de la soirée réside dans son interprétation musicale. La direction de José Miguel Pérez-Sierra, à la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Marseille, se montre précise et nuancée depuis les douces premières notes jusqu’à la tempête finale. Il gère parfaitement l’équilibre entre la scène et la fosse, mettant les voix en valeur. La finesse des traits aux cordes contraste toutefois avec la pesanteur des cuivres. Il lance parfois le Chœur de l’Opéra de Marseille dans des tempi vertigineux, mais que ce dernier parvient à exécuter avec exactitude rythmique malgré les complexités de la partition. Les pupitres féminins peinent toutefois à se hisser au niveau de précision de leurs comparses masculins.
Le plateau vocal montre globalement une belle attention à la diction française (les surtitres restent la plupart du temps inutiles), mais, la fatigue agissant, les erreurs de texte se font de plus en plus nombreuses (heureusement, les mots sont changés sans perte de sens ni perte de repères pour les chanteurs). Enea Scala, l’un des très rares ténors à défendre et servir ce répertoire, interprète Raoul de Nangis sans montrer la moindre faiblesse malgré la longueur (c’est le seul personnage présent dans les cinq actes) et la difficulté du rôle. S’il se montre globalement à l’aise scéniquement, son air du premier acte manque de nuance et de sensibilité pour tenir l’attention des spectateurs sur son récit. Son timbre est très méditerranéen, avec une légère nasalité (liée à une émission placée dans les hauteurs de l’instrument). Son léger accent n’empêche pas la compréhension mais perturbe sa ligne de chant, au demeurant un peu trop ouverte. Il monte en tout cas avec confiance et délicatesse dans les aigus de ses « Tu m’aimes ! » à l'acte IV.
Nicolas Courjal impressionne en Marcel, par sa voix large dans les profondeurs abyssales de laquelle s’épanouissent les harmoniques sépulcrales. Très sentencieux, il met du temps à commencer à exprimer des sentiments, mais se montre touchant dès qu’il complexifie ainsi son personnage, autrement trop caricatural. Valentine prend les traits de Karine Deshayes, dont l’interprétation théâtrale reste un peu convenue, mais dont la voix impressionne par son opulence, son lyrisme et sa virtuosité. Elle appuie ses prouesses sur un timbre velouté au vibrato affirmé.
Florina Ilie prête sa voix à Marguerite de Valois. Son timbre assez pur offre une texture vocale moelleuse sur laquelle plane un vibrato mesuré. Elle délivre avec aisance ses vocalises pyrotechniques dans des phrases longues et tenues, mais s’exprime finalement peu théâtralement. Éléonore Pancrazi est un Urbain malicieux bien que finalement assez sage. Sa voix fraiche et puissante (gardant une belle présence dans les ensembles), dispose d'un timbre ambré et velouté et de graves sûrs. Elle s’attaque aux vocalises avec une facilité presque nonchalante qui lui vaut un tonnerre d’applaudissements aux saluts, dont elle seule semble surprise.
Marc Barrard dresse un portrait touchant du Comte de Nevers (notamment lorsqu’il s’agenouille à la fin pour supplier les conjurés de ne pas se déshonorer dans un lâche massacre), de sa voix ferme au timbre boisé sur laquelle il construit de belles lignes. François Lis offre au Comte de Saint-Bris une basse fière dont il varie les couleurs, et un phrasé dynamique et conduit avec un beau vibrato. Seuls les aigus sont atteints avec plus de difficulté.
Les chevaliers ont peu de passages solistes mais n’en demeurent pas moins présents souvent sur scène, avec beaucoup à chanter. Ils sont ici bien campés, même si leurs réactions au fil de la soirée, entre embrassades et regards entendu, restent archétypaux. Kaëlig Boché (Cossé) est un fier ténor au timbre chaud et au chant vaillant. Carlos Natale (Tavannes) dispose d’un ténor plus clair, au souffle long et au timbre presque blanchi, qui perce par sa vitalité jusque dans les ensembles les plus tonitruants. Gilen Goicoechea (Maurevert et un Archer), debout sur une chaise, élance sa voix charbonneuse sur une belle ligne vocale au vibrato très fin. Alfred Bironien (Bois-Rosé) dispose d’une voix solide et puissante et d’une présence facétieuse. Si Jean-Marie Delpas (De Retz) semble peu à l’aise avec une épée, il s’appuie sur une voix de baryton sobre, élancée et bien émise. Frédéric Cornille (Thoré) se montre très engagé scéniquement, prêtant avec conviction son baryton clair aux ensembles. Enfin, Thomas Dear (Méru) laisse résonner sa basse qui sert de solide fondation harmonique aux ensembles.
Bien que minuit approche à la fin du spectacle, le public prend le temps d’applaudir longuement l’équipe musicale, Nicolas Courjal, Karine Deshayes, Éléonore Pancrazi et le chef Jose Miguel Pérez-Sierra étant particulièrement salués.