À Montpellier, un Requiem de Verdi profane ?
Éloigné de la religion et encore plus de l'Église, c’est principalement sous le coup de l’émotion ressentie après la mort de Rossini puis de l’auteur Alessandro Manzoni que Verdi se décide à achever son Requiem. Cette composition quittera d’ailleurs, en quelques jours seulement, l’église pour le théâtre. Sous couvert de sa forme religieuse initiale, destinée à accompagner l’âme des morts dans l’au-delà, Verdi explore surtout le désarroi des vivants face à la perte de leurs semblables par des cris -lyriques- de colères et de peur, c’est en tout cas l’impression que donne ce concert.
L’interprétation laisse en effet peu de place à la lumière. L’Orchestre National Montpellier Occitanie déploie sa puissance durant une grande partie du concert et avec fracas dans les fameux Dies Irae mais surtout dans le crescendo du dernier chœur du Libera Me. Il avance avec des tempi réguliers et adaptés, parfois dignes d’une marche militaire, indiqués par la gestuelle sobre et précise de Michael Schønwandt. C’est cet alliage de la force à la régularité qui lui confère son caractère d’entité divine implacable, souveraine et toute puissante sur les hommes. Les différentes atmosphères changeantes et bien souvent contrastées écrites par Verdi, entre les mouvements comme à l’intérieur de ceux-ci, sont également maîtrisées (par exemple les subtils piani des cordes amorçant le Kyrie et le Lux æterna). Les cuivres sont particulièrement bien intégrés, dans les accompagnements comme dans les effets. Ils prennent d’ailleurs, concernant ces derniers, une force croissante dans les répétitions du Dies Irae au fil du concert.
Les chœurs préparés par Noëlle Gény et Jan Schweiger commencent difficilement le Kyrie avec des problèmes de coordination (et par conséquent d’harmonie) voire de justesse. Ils se ressaisissent heureusement très vite dès le brillant Dies Irae où ils montrent toutes leurs qualités rythmiques. Ils ne souffrent ensuite plus d’aucune vulnérabilité jusqu’à la fin du concert. Les interventions en effectifs partiels sont raffinées et imprégnées d’intention, assumant ainsi le rôle ambivalent qui leur est dévolu, s’associant tantôt à la puissance divine, tantôt à la faiblesse des hommes.
La voix de Katherine Broderick semble visiblement percer l’âme de l’auditoire. Elle montre une très vaste amplitude dans la tessiture, se promenant dans le Quid sum miser aussi aisément dans les graves profonds que dans les aigus stridents. Sa technique solide lui permet de maîtriser le vibrato et les effets, embellissant la musique sans verser dans l’excès ou la vulgarité. Le souffle semble inépuisable. Les phrases même les plus longues sont ainsi tenues et continues de bout en bout. Elle traverse sans peine apparente le vaste orchestre et attire systématiquement l’oreille dans les ensembles par sa virtuosité comme par sa puissance, souvent au détriment des autres solistes. La justesse de ses intonations ainsi que sa compréhension de l’œuvre participent largement à l’effet produit sur le public et à la montée des émotions.
Eugénie Joneau (Révélation Lyrique aux Victoires de la Musique Classique l’année dernière), habillée avec goût d’une longue robe d’un noir chatoyant, couverte d’un châle en tulle et d’un imposant pendentif fantaisie étincelant, présente un beau timbre à l’équilibre entre quelque chaleur et des aigus légèrement plus incisifs. Les mélodies sont fluides et cohésives. Elle montre une certaine retenue qui peut passer pour de l’élégance. Le volume est cependant souvent limité. Il peut parfois être compensé par une adaptation de celui de l’orchestre lorsqu’elle chante seule comme dans le Liber scriptus mais il peut également conduire à son effacement partiel dans les ensembles ou les trios.
Ilker Arcayürek, remarqué également par sa tenue composée d’un costume noir avec des détails en velours, délivre une prestation vocalement inégale. Si certaines lignes sont exécutées avec netteté et un phrasé pertinent, la technique est souvent forcée. Des défaillances se font surtout entendre lorsqu’il tente d’accentuer ses fins de phrases par des coups de glottes ayant pour conséquence de générer des problèmes importants de justesse sur celles-ci. La voix apparaît souvent fermée et manque de clarté. Ces quelques défauts sont principalement prégnants lorsqu’il chante seul mais tendent à s’effacer (ou du moins à se masquer) par sa juste intégration dans les ensembles.
Sam Carl chante sa partition avec un timbre clair et une précision mélodique. Il exécute avec une attention particulière les parties a cappella. Dans le Mors stupebit, il est cependant légèrement couvert par l’orchestre et la voix manque de profondeur. Les répliques sont un peu hachées dans le Confutatis, à cause de quelque défaut de souffle.
L’Opéra Orchestre national Montpellier Occitanie propose donc une interprétation du Requiem de Verdi laissant une grande place à l’expression vocale de la douleur voire du désespoir humain, appuyée par un orchestre implacable dirigé avec une imperturbable régularité par Michael Schønwandt, réitérant les effets saisissants de cette partition à de nombreuses reprises, en particulier pendant l'Agnus Dei et surtout après le Libera Me final. Si d’aucuns trouvent dans ce Requiem des inspirations wagnériennes, cette interprétation aura en tout cas atteint l’objectif de ce dernier qui était de transformer le spectateur qui assistait à la représentation de ses opéras.
Plutôt que d’être rassuré par un espoir de vie éternelle, le public en ressort en effet troublé et en proie à l’inquiétude (face à ce Requiem qui d'ailleurs remplace les Scènes du Faust de Goethe de Schumann initialement programmées mais devenues trop onéreuses en ces temps de crise). Le public mettra d’ailleurs plusieurs secondes après la note finale avant de remercier les artistes par un crescendo d’applaudissements.