Concert à la Napolitaine à Clermont-Ferrand, d’un volcan à un autre
Le Puy-de-Dôme est comme transformé en mont Vésuve le temps de cette vivifiante soirée Alla Napoletana, comme l'annonce le titre du concert. Tarentelles, cantates, canzoni s'enchaînent en autant de récits emplis de folklore, telle cette histoire de poissons se déclarant la guerre parce qu’une castagnole et une sardine, contrariées par un thon, ne peuvent s’aimer tranquillement.
La soirée vise ainsi à ramener l’auditoire au temps où Naples était un berceau pour la vocalité et littéralement pour de nombreux compositeurs, comme Nicolo Porpora ou Domenico Cimarosa, tandis que d'autres venaient y trouver un fertile terrain de création, à l’image de Vincenzo Bellini (qui y fit ses études musicales). Des noms passés à la postérité, davantage que ceux de Girolamo Kapsperger, Sigismondo d'India, Andrea Falconieri, Maurizio Cazzati ou encore Barbara Strozzi, compositeurs du baroque naissant du XVIIè siècle, ici à nouveau interprétés, sur instruments d’époque. Et puisque l’idée est de voyager, dans le temps comme dans l’espace, des mélodies du français Henri de Bailly et de l’espagnol Santiago de Murcia, côtoient des chansons napolitaines non signées, mais aussi des compositions plus récentes, tel ce fameux Dicitencello Vuje de Rodolfo Falvo, dont les échos passionnés ont depuis longtemps franchi les limites de la baie de Naples (tels ces autres tubes napolitains que sont O Sole Mio ou Funiculì funiculà, chanson écrite à la fin XIXème pour célébrer l’inauguration du funiculaire du Vésuve).
Un riche programme en somme, fleurant bon le soleil, la mer azur et les citrons de Sorrente, et dont l’authenticité de l’interprétation se déploie sous les doigts des musiciens de L’Arpeggiata. Un ensemble qui fait depuis longtemps référence dans l’univers baroque, dirigé depuis son théorbe par Christina Pluhar, dont quelques mouvements de tête et regards appuyés suffisent à donner le tempo à des pupitres guidés par un même souci mélodique et de l’entrain rythmique. Clavecin, guitare baroque, sa cousine méridionale chitarra battente, contrebasse, cornet à bouquin et tambour frotté par les pinceaux affirment leur souci de la technique et de l'interprétation, proposant un voyage où les morceaux s’enchaînent en un même élan de jovialité, de poésie, d’humour et de tendresse qui se retrouvent aux voix.
Entre émotion, poésie et facétie
Vincenzo Capezzuto déploie sa voix d’alto (et non de contre-ténor : épousant la tessiture féminine de la même manière que le fait par exemple Bruno de Sá pour le soprano) naturellement tournée vers l’aigu, au timbre d’un genre séraphique et d’une constante force expressive, toujours assurée et pleine d’éloquence (ici proche du yodel, là bien plus larmoyante, mais toujours portée par le propos). Le style confine parfois à la variété voire à la comédie musicale, avec ces manières de déployer les bras loin vers l’avant pour mieux revenir vers le cœur le poing serré et les yeux fermés, le tout participant moins à diluer le charme qu’à rendre plus actuelles encore ces grisantes mélodies. Céline Scheen fleurit son timbre clair, sa large tessiture, sa souplesse dans les franchissements de registre et son vibrato tout en modulations (là aussi, qu’il faille attendrir, charmer ou envoûter).
Les deux chanteurs esquissent même des mouvements de danse (Vincenzo Capezzuto est d’ailleurs membre du ballet... du San Carlo de Naples), et surtout portés par la danseuse Anna Dego, qui vient donner corps aux histoires ici contées, de ses mouvements enfiévrés tout en souplesse et des ses gestes allant chercher haut et loin, décrivant parfois comme une forme de transe, comme s’il s’agissait là de vider le corps de toute énergie pour mieux la transmettre au public tout entier qui en vient à frénétiquement battre la mesure en tapant des mains, et même des pieds avant d’entonner sans se faire prier les paroles d’un Hallelujah très jazzy (dont Vincenzo Capezzuto, s’il n’a pas le timbre de Leonard Cohen, parvient avec Céline Scheen à restituer le charme mélodique). Ce tube résonne tel un hymne venant clore une soirée où le public s'imagine sans doute déjà là-bas, vers Capri, dans les résonances d'un voyage musical qui n'est assurément pas fini.