L’Île du Rêve à l’Athénée, moment de poésie musicale
C’est une expérience envoûtante que cette Île du Rêve de Reynaldo Hahn d’après Pierre Loti, actuellement programmé à l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet ! La musique est empreinte de poésie et se trouve joliment mise en valeur par la mise en scène épurée d’Olivier Dhénin. C’est au cor que revient la responsabilité de jouer les premières notes de l’œuvre. En ce jour de circulation alternée et de blocage d’une partie du réseau de RER, ce détail n’aura pas échappé au public qui aura dû attendre l’arrivée du corniste, bloqué dans les transports. Sous la direction de Julien Masmondet, l’Orchestre du Festival Musiques au pays de Pierre Loti, produit une musique riche malgré sa réduction à douze musiciens. L’influence de Massenet sur son élève (encore très jeune lorsqu’il compose cet opus) est évidente : la filiation entre cette partition et celle de Thais est notamment palpable. Les délicats violons s’entremêlent à l’alto dansant ainsi qu'à la flûte vivifiante et à la harpe dont les notes s’écoulent en un joyeux torrent. L’ensemble donne l’impression de planer au-dessus des paysages fantasmés de la Polynésie, au point que l’on en sort apaisé et charmé.
Le metteur en scène Olivier Dhénin (© DR)
La mise en scène s’appuie sur des effets de lumière (signés Anne Terrasse) et de transparence pour caractériser les lieux et les actions. S’il n’y a presqu'aucun accessoire, des panneaux descendent des cintres pour créer un arrière-plan, une séparation scénique ou bien un effet visuel (le bateau qui s’en va). Les tableaux sont ainsi simples mais produisent de belles images. La direction d’acteurs est soignée et tire le meilleur des interprètes qui occupent seuls l’espace dépouillé.
Marion Tassou, qui interprète le rôle de Mahénu, la belle dont s’éprend Loti, est une jolie découverte artistique. Son sens de la nuance s’accorde avec une voix à la fois agile et chaude, qui ressort dans les ensembles. Ses aigus sont émis du fond de la gorge, ce qui leur donne un lustre bien mis en valeur par un vibrato charnu. Se mouvant avec une grâce de danseuse, elle exprime la joie, l’amour ou la douleur avec une candeur et une sincérité qui émeuvent. Sa prononciation, sans être incompréhensible, laisse toutefois regretter l’absence de surtitrages sur certains passages. Son duo avec Enguerrand de Hys, qui campe Loti, fonctionne bien, leurs deux voix s’accordant parfaitement. S’il paraît figé comparé à son amante, le ténor compose avec conviction un personnage mélancolique et tourmenté par le souvenir de son frère. Son timbre romantique, légèrement barytonant, s’affirme au fil de la soirée, notamment dans les aigus qu’il a resplendissants. Agile, il enchaîne les sauts de notes sans difficultés apparentes et laisse entendre un fin vibrato du plus bel effet. Son passage en voix de tête sur la phrase « Oh fleur de mon âme » est parfaitement exécuté et laisse une brillante impression.
Enguerrand de Hys et Marion Tassou dans l'Ile du Rêve (© Odile Motelet)
Eléanore Pancrazi interprète le double-rôle de la triste Téria et de la Princesse Oréna. Faisant honneur au texte d’André Alexandre, elle en découpe chaque mot de manière parfaitement intelligible. Sa voix ronde se fait tantôt poignante, lorsque son personnage apprend la mort de son amant, ou tantôt lyrique. Lorsqu’Oréna annonce à Mahénu qu’elle ne pourra suivre son amant, la compassion se lit dans ses yeux et l’émotion pointe dans sa voix. Safir Behloul campe Tsen-Lee, un amant déçu, avec une diction appuyée. Si sa voix paraît parfois mal assurée, ses dernières interventions en voix mixte sont particulièrement travaillées. Ronan Debois chante Taïrapa : ses graves chatoyants sont dotés d’un vibrato large et profond. Ils rendent musicalement la mélancolie du personnage. Voilà bien une soirée qui donne envie d’en entendre plus : pour découvrir ces jeunes artistes dans d’autres rôles, mais aussi cette partition dans son ampleur d’origine !