La Belle Hélène à la Villa Marguerite, c’est dans la poche !
Installée depuis cinq ans désormais dans Vichy, à l’initiative de deux musiciens aussi passionnés qu’aguerris, Sylvain et Fleur Mino, la Villa Marguerite jouit désormais d’une belle réputation dans la cité thermale. La jeune institution nourrit sa saison de concerts, de récitals, mais aussi d’opéras qu’elle prend un savoureux plaisir à revisiter en version de chambre. Et si cela peut être un opéra-bouffe, pour pouvoir rire un peu en plus de profiter de jolies voix, c'est encore mieux ! Ainsi, après Monsieur Choufleuri en 2019, puis Ba-ta-Clan l’an passé (notre compte-rendu), place à une autre partition signée du maître Jacques Offenbach : La Belle Hélène. Une partition aux airs fameux, à commencer par l’ouverture, et dont la délectable intrigue est effectivement propice à régaler l’auditoire.
De ce spectacle donné dans le salon de la Villa, rendant la performance d’autant plus intimiste (et la quarantaine de spectateurs d’autant plus privilégiée), deux créatrices vichyssoises participent grandement à une ambiance qui est d’abord visuelle : d’abord la costumière Anne Chevrel, qui mise ici sur le mélange des genres et des époques, maillots de bains, marcels et peignoirs (ville thermale oblige) côtoyant des habits de style bien plus hellénique. De ces blancs tissus finement cousus, s'apprécie notamment la cape de Pâris, ou encore cette tunique façon peplos, à la (très) longue traîne, portée par Hélène. Une héroïne dont la coiffure tout en boucles, chignons... et coquillages est à mettre au crédit d’une autre artiste vichyssoise, Christine Vizier, ancienne coiffeuse de cinéma dont les talents d’orfèvre se mettent avec tout autant de bonheur au service de l’art lyrique. Quant à l’habillement de l’espace scénique, il est confié à David Koenig, qui use de branches tombantes et de tissus blancs accrochés aux murs pour dépeindre un cadre d’inspiration antique dans lequel viennent idéalement s’inscrire les élégantes moulures de ce salon décidément passé à l’heure grecque.
Dialogues au goût du jour
Un décor donnant dans le simple mais l’efficace, donc, pour un spectacle d’un peu plus d’une heure trente que le même David Koenig a remis au goût du jour pour l’adapter à cette version réduite. L’essence désopilante du livret de Meilhac et Halévy est préservée, mais si l'auditoire s’esclaffe à n’en plus finir, c’est aussi car des dialogues plus actuels viennent rendre d’autant plus déjantés les échanges parlés. Il est ainsi question, pêle-mêle, d’aliments bios (prononcer « biosse »), d’objets Made in China, ou encore d’Arielle Dombasle devenue « la plus femme du monde », quand Pâris a le « front populaire et le fessier agricole élevé en plein air ». De quoi en effet faire du rire le fil rouge d’un spectacle porté par un enjouement et une folie permanente, et surtout par l’investissement infaillible d’une troupe d’artistes avant tout amis dont la semaine de résidence vichyssoise a su porter ses fruits.
Hélène est incarnée par Fleur Mino, pétillante à souhait et drôlatique dans ses manières d’abord de résister aux charmes du berger Pâris, puis de berner son époux Ménélas en feignant un exil à Cythère, une terre où elle sera forcément bavarde, puisqu’elle ne saura « s’y taire ». Quant à la voix, à l’émission assurée, elle est d’une fraîcheur constante et sait se faire aussi bien mélodieuse dans les passages chantés que charmeuse et incisive dans les dialogues parlés. La complicité de cette belle Hélène « qui n’est pas une poire » est évidente avec le Pâris de Juan Carlos Echeverry. Le jeune ténor franco-colombien use de ses talents affirmés de comédien tant pour jouer le berger valeureux que l’invétéré charmeur venu chercher l’amour promis par Vénus, un rôle dans lequel il déploie en outre sa voix claire de timbre et de belle amplitude, longue de souffle pour ne rien gâcher.
Guillaume Beaujolais est un délectable Calchas, dont la vis comica ne cesse jamais de faire mouche, même si le comédien de formation, adepte des pitreries et des calembours à gogo, sait aussi user d’une voix de baryton aussi claire que sonore pour jouer l’oiseau de bon augure. En Ménélas souvent dépassé par les événements, qui se fend d’un gros caprice enfantin lorsqu’il s’imagine des cornes soudain lui pousser, et qui s’étouffe bêtement lorsqu’il vient à parler de son honneur, Fabrice Todaro (récemment Piccolo dans L’Auberge du Cheval Blanc à Marseille) se fait lui aussi irrésistible de drôlerie, usant d’un chaud baryton tout à son aise tant dans le registre parlé que chanté. Enfin, l’infatigable David Koenig, se glisse lui avec toute la fantaisie requise dans les habits d’Agamemnon et Bacchus, prêtant à ses rôles sa voix percutante et son sens du comique à toute épreuve (ainsi qu’une belle maîtrise de la langue ch’ti).
Enfin, le spectacle repose aussi sur l’impeccable performance au piano de Mickaël Bardin, homme-orchestre à lui seul qui, par un jeu tout en nuances variées et en couleurs expressives, parvient à restituer l’essence musicale de la partition. Le public ne s’y trompe pas qui salue chaleureusement l’instrumentiste mais aussi ces chanteurs-comédiens fort complices qui semblent moins avoir joué une intrigue comico-sentimentale que l’avoir réellement vécue, là, dans un salon devenu maison d’opéra l’espace d’un bel après-midi.