Boris Blanco, Directeur de la Chaise-Dieu : « Un Festival festif, exigeant et populaire »
Boris Blanco, vous présentez la première édition du Festival de La Chaise-Dieu dessinée par vos soins. Pouvez-vous présenter votre parcours à ceux qui ne vous connaissent pas encore ?
J’ai 30 ans. Je suis Directeur général du Festival depuis mars 2022. J’avais avant une carrière de violoniste. J’ai commencé mes études de violon à Nice, très jeune, puis j’ai intégré le CNSM avant un Master en Autriche avec une très grande dame du violon, Silvia Marcovici. J’ai ensuite fait une belle carrière de musicien de chambre indépendant et j’ai fondé un festival de musique de chambre à Grasse en 2016. Durant la pandémie, j’ai voulu poursuivre plus loin dans cette direction : ne plus seulement jouer, mais être acteur des festivals. J’ai donc fait un Master d’art et politique à Science Po Paris, et le chemin vers la Chaise-Dieu s’est fait finalement assez naturellement.
Sur quel ADN du festival vous êtes-vous appuyé pour construire cette première programmation ?
Le Festival de La Chaise-Dieu a la particularité, au-delà de son âge canonique, d’être l’un des seuls en France à avoir été fondé par un immense musicien, avec le Festival Pablo Casals de Prades et La Grange de Meslay (par Sviatoslav Richter) notamment. Il porte ainsi un héritage : je ne peux m’inscrire en faux contre György Cziffra, ni contre les raisons qui ont poussé le festival à construire ses spécificités. Nous sommes sur un territoire sur lequel il n’y a pas d’offre symphonique à part nous (il faut 1h30 pour aller à Clermont-Ferrand et Saint-Étienne, et 2h pour se rendre à Lyon) : il est donc crucial que nous présentions ce répertoire. De même, le lieu nous impose la musique sacrée : il serait inconcevable de ne pas en proposer dans l’Abbatiale Saint-Robert. Enfin, quand on a György Cziffra comme fondateur, on a forcément un attrait pour la virtuosité, en particulier au piano. Ce triptyque symphonique / musique sacrée / virtuosité est donc l’ADN du festival. L’héritage qui est finalement davantage un choix, c’est d’être généraliste à une époque où les festivals ont le plus souvent tendance à se spécialiser, sur un compositeur, un instrument, un genre ou une époque (le baroque, par exemple). Nous voulons que nos festivaliers qui restent plusieurs jours, puissent avoir accès à des propositions très différentes, à tous les styles, tous les genres et toutes les époques.
Quels sont les lieux dans lesquels le festival rayonne ?
L’Abbatiale est notre vaisseau amiral, là où il y a la plus grande scène et où nous pouvons faire venir les plus grands ensembles, là où vit le festival, où sont les bénévoles. Nous avons également pris l’excellente habitude de rayonner, depuis une quinzaine d’années, et ce seront cette année près de 18 communes qui seront visitées pendant ces 10 jours. Il y a là une logique de territoire : la Chaise-Dieu est à la croisée de trois départements, la Haute-Loire, le Puy-de-Dôme et la Loire et nous sommes ainsi un festival très ancré dans sa région. Ce rayonnement met aussi en lumière l’extraordinaire richesse du patrimoine auvergnat, puisque la grande majorité des lieux que nous visitons sont des sites patrimoniaux.
Le festival s’appuie sur un impressionnant dispositif de bénévoles : pouvez-vous nous le présenter ?
L’an dernier, nous avons eu 133 bénévoles, que nous « bichonnons » pendant tout la durée des festivités et sans qui il n’y aurait pas de festival. Certains bénévoles viennent depuis 40 ans et ont donc un vrai savoir-faire, tant et si bien qu’on dit parfois qu’à la Chaise-Dieu, les bénévoles sont professionnels et les professionnels quasiment bénévoles. Ce rapport aux bénévoles est aussi très important pour les artistes, et leur apport va donc bien au-delà du travail qu’ils réalisent tant cet état d’esprit, ce don de soi transparaît dans toutes les composantes du Festival et fait de cet évènement une grande et magnifique aventure humaine. Certains sont de grands amateurs de musique, mais beaucoup viennent chercher d’autres choses, et parmi ceux-là, certains deviennent mélomanes sans même s’en apercevoir.
Pouvez-vous nous présenter le dispositif « Génération Chaise-Dieu » ?
Nous allons accueillir en résidence pendant le festival trois ensembles qui sortent de grandes écoles françaises et européennes et qui travailleront avec Pierre Fouchenneret, Lise Berthaud et Romain Descharmes. Ces trois ensembles seront accueillis à la Chaise-Dieu et auront chaque jour un cours public dans le village. Ils participeront à 11 concerts décentralisés plus un à l’auditorium de la Chaise-Dieu (pendant lequel ils partageront la scène avec leurs professeurs). Ces concerts sont gratuits et trouvent leur place dans des communes où il n’y a pas d’autres propositions de concert du niveau de ce que nous proposons. Le fait que ce soit en accès libre est primordial, car ma conviction profonde est que la musique classique n’a rien d’élitiste, tant elle ne demande aucun pré-requis. Mais si le moment du concert peut faire peur, alors il nous appartient de tout faire pour rendre ce « rituel » familier et intime, et ces concerts sont un premier pas vers ceux qui n’oseraient pas venir sur le reste de notre programmation.
Comment avez-vous structuré votre première programmation ?
J’avais envie de faire un festival populaire au sens noble du terme. Il ne faut pas oublier que chaque festival appartient à son territoire. Dans certains territoires, à force d’avoir écouté les grandes œuvres du répertoire, le public veut peut-être entendre d’autres propositions. La population de notre territoire n’a pas l’occasion d’écouter ces œuvres admirables au point de s’en lasser : si on ne les joue pas, les gens n’ont pas d’occasion de les entendre. Il ne peut pas y avoir de snobisme envers ces chefs-d’œuvres. Si le concert est toujours un moment d’élévation, de grande intimité et d’introspection, il faut aussi que ces dix jours de musique soient une grande célébration de la beauté, porteuse d’un réel esprit de fête, l’occasion de se soustraire le temps de quelques concerts aux drames du monde. Pour autant, il ne faut pas tomber dans l’extrême inverse et une certaine forme de facilité, et c’est là que surgit notre vocation généraliste, dans cette faculté à proposer tout à la fois la Symphonie du Nouveau Monde de Dvořák, le Concerto pour chœur de Schnittke et les Ôdes à Sainte-Cécile de Purcell et Blow. Il y a tellement peu de domaines de la vie où l’on a le luxe de ne pas choisir, je tiens absolument à ce que le Festival de La Chaise-Dieu puisse continuer à offrir ce privilège.
Le Festival ouvrira au Puy avec God save the King par Hervé Niquet et son Concert Spirituel le 17 août : pourquoi ce choix d’ouverture de festival ?
Depuis plusieurs années, nous n’allions pas à la Cathédrale du Puy-en-Velay. Je voulais y retourner, car c’est un lieu important dans la région et dans l’esprit de ses habitants. On y trouve une sorte d’esprit de pèlerinage car elle est en hauteur, difficile d’accès et il faut véritablement mériter ce lieu fantastique, construit au-dessus du vide. Je voulais y faire un programme avec un certain sens du grandiose : dès lors, Hervé Niquet et Le Concert Spirituel s’imposaient.
Vous inviterez ensuite le Dunedin Consort dirigé par John Butt les 19 et 20 août pour une Passion selon Saint Jean puis un Magnificat de Bach : ces doubles invitations ont-elles uniquement une explication écologique ?
Bien sûr, il y a une réflexion sur l’empreinte carbone quand on invite un ensemble qui vient du Royaume-Uni mais je tiens aussi à ce que les orchestres aient l’occasion de s’exprimer sur plus d’un concert et ainsi avoir le temps de développer un lien avec le public. Je suis admiratif du Dunedin Consort depuis ma première écoute de leur enregistrement sur la Passion selon Saint Jean, et j’avais très envie qu’ils puissent faire leurs débuts à l’Abbatiale Saint-Robert dans ce répertoire qu’ils défendent si bien. Et puis, au fil de la discussion, l’idée d’un week-end consacré à Bach s’est imposée, parce que l’on ne finit jamais de redécouvrir les trésors de cette musique, et le Magnificat était un choix magnifique pour ce deuxième concert.
Le 20 août toujours, le Chœur Spirito dirigé par Nicole Corti interprètera An Evening with the Beatles : à quoi ce concert ressemblera-t-il ?
Nicole Corti est une partenaire de longue date du Festival. En plus d’être extrêmement compétente, elle a le défaut d’être très sympathique : elle m’a parlé de ce programme qu’elle créait et elle m’a convaincu. Il ne s’agit pas de reprises simples, mais de versions très retravaillées des chansons des Beatles, recomposées pour 16 chanteurs. Ce sera un vrai programme de musique classique, avec un grand travail sur la voix.
Pour compléter ce week-end lyrique du 19 au 21 août, La Chapelle Harmonique de Valentin Tournet interprètera Le Messie de Haendel et les Gesualdo Six chanteront des polyphonies anglaises : qu’en attendez-vous ?
Valentin Tournet et La Chapelle Harmonique font partie des nombreux artistes qui feront leurs débuts au Festival cette année, et c’est un choix fort de leur confier une lecture d’un monument comme Le Messie de Haendel, qui dénote la volonté de les faire entrer dans l’histoire du Festival par la grande porte. Le choix de Gesualdo Six s’inscrit lui aussi dans l’histoire, celle de la collégiale Saint-Georges de Saint-Paulien, dans laquelle la voix résonne particulièrement bien.
Il y aura une autre grosse journée lyrique le 26 août avec Les Nuits d'été de Berlioz par l’Orchestre National des Pays de la Loire dirigé par Sascha Goetzel, et Eva Zaïcik. Comment avez-vous construit ce programme ?
Les Nuits d’été est l’un des sommets de la mélodie française avec orchestre. J’étais au CNSM avec Eva Zaïcik et j’ai toujours trouvé qu’elle était une artiste complète avec un timbre magnifique et un vrai sens du phrasé et de la musicalité. Si nous travaillons en étroite collaboration avec toutes les formations orchestrales de notre territoire, et la programmation 2023 le prouve, il est très important pour nous d’accueillir et de présenter à nos habitués les meilleures formations orchestrales françaises et européennes. Dans cette logique, l’Orchestre National des Pays de la Loire sera accueilli pour la première fois en terre casadéenne, avec son nouveau Directeur musical Sascha Goetzel qui est un artiste magnifique. Ma volonté était de pouvoir accueillir les orchestres permanents avec leurs directeurs musicaux, et c’est une grande fierté que ce soit (presque) toujours le cas cette année. C’est une manière de présenter ces grandes formations orchestrales à notre public dans leurs identités respectives profondes.
Le même jour, Les Métaboles de Léo Warynski chanteront du Tallis, Filidei, Mahler et Schnittke : comment ce projet s’est-il monté ?
Léo Warynski fait partie des chefs français qui sont en train de se développer et avec qui je souhaite que la Chaise-Dieu construise une relation particulière, autour de programmes marquants. Quand il m’a parlé de cette œuvre de Schnittke, j’avoue avoir d’abord été dubitatif. Mais j’ai écouté l’œuvre en voiture et j’ai été obligé de m’arrêter tant elle est belle, puissante et bouleversante. Dans cette Abbatiale Saint-Robert, les 42 voix vont offrir un moment très particulier : c’est l’un des concerts que j’attends avec le plus d’impatience, et j’aime beaucoup la manière dont est construit le programme pour aboutir sur ce Concerto pour chœur.
Entre répertoire lyrique et instrumental, l’Orchestre de l’Opéra National de Lyon viendra jouer le Ring sans paroles (version de Lorin Maazel) le 24, sous la direction de Daniele Rustioni : en quoi est-ce un évènement ?
D’abord, je trouve cet orchestre absolument magnifique, tout comme son chef qui a une vraie direction d’opéra à l’italienne, engagée. Je les ai donc contactés pour les faire venir pour la première fois à la Chaise-Dieu. Je voulais qu’ils viennent dans un programme d’opéra, sachant que le chœur n’était pas disponible, et le Ring sans paroles s’est imposé rapidement, car c’est un vrai poème symphonique qui mérite d’être joué tant il réussit à transcrire parfaitement l’esprit de la Tétralogie. Nous y greffons le Concerto pour violon n°2 de Mendelssohn que j’ai souhaité proposer à Francesca Dego que je suis depuis longtemps et que j’apprécie particulièrement.
Si l’on s’éloigne un peu plus du lyrique, vous présenterez la 5ème Symphonie de Mahler le 18 août par l’ONDIF conduit par son Directeur Case Scaglione : comment cela s’est-il fait ?
L’ONDIF est le premier orchestre invité par György Cziffra, il est présent depuis les origines du festival et c’est donc le premier orchestre que j’ai contacté en arrivant. Je voulais qu’ils fassent le premier concert à la Chaise-Dieu du Festival, et Mahler s’est vite imposé car Case Scaglione est un grand chef, et spécialement dans ce répertoire. Wagner et Mahler faisant partie de mes marottes, la discussion fut extrêmement facile. Il s’agira du concert d’ouverture à l’Abbatiale, que nous investirons ainsi avec majesté. Ce sera une soirée particulière car nous tirerons un feu d’artifice à la fin, faisant de ce concert une véritable grande soirée d’ouverture.
L’un des grands projets de cette édition et des suivantes est l’intégrale des symphonies de Beethoven par l’Orchestre Consuelo dirigé par Victor Julien-Laferrière qui démarre donc cette année par les Symphonies 1, 2 et 4 les 22 et 23 août. Pourquoi vous être lancé dans un tel projet ?
Ce cycle prendra fin en 2026, c'est donc une manière de projeter le festival sur ses 60 ans. Victor est un musicien extraordinaire que j’ai la chance de connaître personnellement depuis nos études au CNSM, et pour avoir joué plusieurs fois avec lui. J’aime la manière dont il aborde la musique et dont il construit les projets, avec une immense intégrité musicale et humaine. Là encore, c’est un projet dont nous sommes à l’initiative et qu’il ne sera possible de suivre dans son intégralité qu’à la Chaise-Dieu, en exclusivité. Nous enregistrerons chaque concert et ce cycle fera l’objet d’un projet discographique, faisant de cette intégrale Beethoven un évènement important de la vie musicale française pour les prochaines années.
Renaud Capuçon viendra le 23 août avec son Orchestre de Chambre de Lausanne pour une soirée Mozart/Strauss : est-ce une soirée difficile à programmer ?
Non, Renaud Capuçon a très vite répondu à mon invitation, preuve que le lieu ne laisse pas insensible. Quand l’une des plus grandes stars internationales du violon vient se produire dans un petit village de 500 habitants, cela dit beaucoup de choses sur le festival. Ils joueront notamment Les Métamorphoses de Strauss, qui est une œuvre particulièrement émouvante et qui ira tellement bien dans l’Abbatiale.
Vous présenterez les Quatre saisons de Vivaldi le 26 août avec l’Orchestre de chambre de Salzbourg et Manon Galy au violon : pourquoi avoir invité ces artistes ?
L’Orchestre de chambre de Salzbourg est l’un des orchestres de chambre les plus importants. Nous avons aussi la volonté de présenter les grands solistes d’aujourd’hui et de demain : Manon Galy, encore une amitié de CNSM puisque nous étions en cours d’analyse ensemble, est entre ces deux catégories (elle est déjà Révélation aux Victoires de la Musique Classique, ce qui n’est pas rien). Je voulais que la Chaise-Dieu fasse du chemin avec elle. J’aime présenter de jeunes artistes en les mettant dans les meilleures conditions. On sait que nous aurons du monde pour ce concert, que l’œuvre est bien écrite pour le violon et cela permet de créer un climat favorable pour que le public l’adopte.
Quels sont les trois autres évènements que vous souhaitez mettre en avant dans cette programmation extrêmement riche ?
L’Orchestre National de Lyon, l’un des plus grands orchestres français, viendra le dernier soir faire une œuvre en très grand effectif, avec une jeune cheffe néozélandaise, Gemma New, qui est très intéressante.
Bruno Philippe se lance dans l'intégrale des Suites de Bach, ce qui est un vrai défi à la fois technique et spirituel : le violoncelliste est seul face à l’immensité de ce cycle et de ce qu’il représente.
Enfin, nous aurons beaucoup de musique de chambre à l’auditorium, ce qui me tient particulièrement à cœur de par mon parcours. C’est un répertoire qui est en fait très grand public car il y a beaucoup de chefs-d’œuvre encore trop peu connus. Par exemple, l’Octuor de Mendelssohn est une œuvre extraordinaire qui constitue un formidable point d’entrée vers la musique classique. Nous réunissons pour ce concert le Quatuor Arod et le Quatuor Hanson. C’est une belle histoire de festival car ces deux ensembles partagent une belle amitié et cette rencontre se fait spécialement pour ce festival.