Correspondances spirituelles Bach/Graupner à la Cité de la Musique
Le programme se structure autour de deux cantates composées à partir du même texte, « Mein Herze schwimmt im Blut » (Mon cœur baigne dans le sang), l’une par Johann Sebastian Bach, l’autre par Christoph Graupner. Comme l’explique Paul Agnew en préambule du concert, le doute plane parmi les musicologues pour savoir si Bach, dont la cantate date de 1714, s’inspira de la composition de son confrère (de deux ans antérieure à la sienne). Si quelques similitudes assez frappantes sont à remarquer entre ces compositions (outre le recours au même texte), comme le fait que les deux cantates commencent dans une tonalité en do mineur, ou la présence d’un hautbois et d’un alto dans la formation réduite pour laquelle ont été écrites ces œuvres, il n’existe néanmoins aucune preuve que Bach ait jamais entendu la cantate de Graupner.
Quoi qu’il en soit, Paul Agnew a souhaité donner au public réuni ce soir à la Cité de la Musique l’occasion de comparer la façon dont chacun de ces compositeurs s’est emparé du même texte. Quoiqu’assez bref, le spectacle s’organise autour d’un entracte, sans doute pour donner à chaque cantate le temps de respirer, la première partie étant centrée sur celle de Graupner, tandis que la seconde sert d’écrin à celle de Bach. Plusieurs œuvres instrumentales des deux compositeurs complètent le programme, ainsi qu’une œuvre dont la paternité est sujette à débats, l’Ouverture en sol mineur BWV 1070, qui porte la signature de Bach, sans qu’on sache s’il s’agit de Johann Sebastian lui-même ou bien de Wilhelm Friedemann, son fils ainé.
Qu’elle chante le texte avec les notes de Bach ou celles de Graupner, Lea Desandre chante avec grâce et justesse. La mezzo interprète les cantates avec subtilité, laissant l’émotion transparaître dans ses phrases sans en faire la démonstration. L’émission est maîtrisée en délicatesse, prenant les dimensions de la salle tout en restant mesurée, comme pour laisser l’auditeur aller vers elle. Le timbre est solaire, lumineux dans l’aigu malgré la teneur lamentative des œuvres, avec des graves nourris et denses.
Les Arts Florissants sont ici présents en formation réduite, offrant sous la conduite de Paul Agnew une interprétation toujours souple et sensible. La Sinfonia de la Cantate “Ich hatte viel Bekümmernis” (J'avais grande affliction) de Bach qui ouvre le spectacle permet au théorbe de Thomas Dunford de déployer toute sa mélancolie solaire, tandis que les cordes frottées se font applaudir copieusement pour leur performance dans le Trio pour deux violons et basse continue de Graupner.
Un accueil très chaleureux est ainsi réservé à Lea Desandre et aux Arts Florissants à la fin du spectacle, le public venu nombreux saluant la mezzo, le chef et les instrumentistes. Paul Agnew, avec un enthousiasme communicatif, leur dit combien « cette musique rend heureux », avant le rappel, reprenant la dernière aria de la cantate de Bach, “Wie freudig ist mein Herz” (Que mon cœur est joyeux), qui finit dans la joie ce qui commença dans la douleur.