Concert de louanges pour L'Orfeo à Nancy
Donné en version de concert, l’opéra de Monteverdi fait l’objet d’une sobre mais efficace mise en espace. Chanteurs et instrumentistes n’hésitent pas à faire leur entrée depuis la salle ou depuis les balcons, les allées et venues des uns et des autres permettant de marquer l’action et de situer le rôle de chacun. Qu’ils soient installés sur le devant de la scène, en fond de salle ou sur les côtés du plateau, tous les chanteurs interprètent leur rôle par cœur et se concentrent sur l’émotion à transmettre au public. La musique de Monteverdi paraît ainsi sous toutes ses couleurs, rarement aussi joyeuses et émouvantes dans les moments de souffrance et de douleur. Seul Orphée, en complet veston comme tous les autres hommes, laisse tomber la cravate, ce qui suffit à le détacher des autres personnages du drame. Le rôle-titre est interprété par le ténor Valerio Contaldo, pour qui l’opéra de Monteverdi n’a plus de secrets. La voix est ample et richement timbrée, avec des facilités dans l’aigu et de belles couleurs barytonales qui conviennent parfaitement à la tessiture relativement centrale du rôle. La technique est saine et assurée, ce qui permet à l’artiste de soigner la diction et l’émotion sans jamais se mettre en difficulté. La grande scène des Enfers, au cours de laquelle Orphée parvient à infléchir Charon, ressemble à tout sauf à l’exercice de virtuosité qu’il est en réalité, preuve qu’à l’opéra l’art peu cacher l’art. La soprano Mariana Flores réussit l’exploit d’être autant à l’aise dans la partie de Musica (ici, la Muse source de l’inspiration d’Orphée) que dans celle d’Eurydice. Du Prologue, elle fait un véritable pilier du drame grâce à sa diction et sa gestuelle. Son retour en fin d’ouvrage, quand la Muse sonne, armée de son tambourin, la fin de la pièce, comptera parmi les moments les plus mémorables de la soirée. En Eurydice, sorte de double de la Muse, la soprano argentine se montre extrêmement émouvante quand arrivent les derniers adieux, autre grand moment d’une soirée décidément riche en émotions pour l'auditoire.
Giuseppina Bridelli en Silvia/Messagiera parvient à donner à son instrument naturellement lisse et homogène les inflexions gutturales qui conviennent à l’annonce de la mort d’Eurydice. À la ligne vocale moins heurtée, Anna Reinhold charme autant en Speranza qu’en Proserpine, dont elle dessine de sa voix égale et chaude le retour à une normalité conjugale de bon aloi. Le dénouement final n’en est que plus tragique.
Il n’est pas de petit rôle dans L’Orfeo, tant la tradition madrigaliste (musique vocale de chambre) reste présente. À ce titre les voix de ténor sont particulièrement sollicitées, et permettent notamment de goûter le contraste entre l’instrument clair et léger d’Alessandro Giangrande, dans le double rôle d’Apollon et d’un berger, et la voix de ténor plus claironnante, voire parfois volontairement métallique, de Nicholas Scott, à la fois en berger, en esprit et en écho.
Les clés de fa (celles sur la portée des voix graves) ne sont pas en reste, et si Salvo Vitale fait valoir en Charon une basse profonde d’une grande force dramatique, le baryton Alejandro Meerapfel impose pour le rôle de Pluton une présence digne et calme grâce à sa voix au timbre sombre mais capable des plus fines nuances. En Pastore, Matteo Bellotto, dispose d’un beau timbre chaud et doré.
Quelques interventions de choristes du Chœur de chambre de Namur permettent de faire entendre le timbre frais et pur de la soprano Estelle Lefort en Ninfa, ainsi que les sonorités généreuses du baryton-basse Philippe Favette, sollicité pour le personnage du deuxième Esprit. Le contreténor Leandro Marziotte aura quant à lui compensé un relatif manque de puissance par une belle palette de couleurs, lesquelles contrastent agréablement avec les deux ténors et la basse des autres bergers.
Si ce plateau est pleinement homogène, ce sont surtout les ensembles constitués de La Cappella Mediterranea et du Chœur de chambre de Namur qui s'imposent comme les triomphateurs de la soirée. Toujours vivante et animée, d’une liberté rythmique peu croyable, la direction inspirée de Leonardo García Alarcón fait redécouvrir la partition de Monteverdi. D’une infinie variété, la dynamique insufflée aux voix et aux instruments baroques nourrit l’intime et profonde théâtralité de la partition. Enjouée, voire endiablée, pour les scènes de liesse, sereine et envoutante pour les moments d’introspection et d’intériorité, la musique de Monteverdi brille de mille feux et recrée un univers post-renaissant d’une grande modernité. À ce moment d’émotion, de recueillement et de bonheur partagés, le public réserve un accueil triomphal, obtenant que soit bissé le chœur final. Ces interprètes, visiblement investis dans un univers qu’ils savent si bien faire partager, promettent assurément d’autres surprises pour les années à venir.
Les 12 et 13 avril, l'ensemble @cappellamediter dirigé par Leonardo García Alarcón est de retour à Nancy pour L'Orfeo de Monteverdi. Infos et réservations https://t.co/0FTxeX962R François de Maleissye - Cappella Mediterranea pic.twitter.com/MA3X6kxS27
— Opéra national de Lorraine (@Opera_Nancy) 5 avril 2023