L’Orfeo de Monteverdi remonte La Seine Musicale
Le premier chef-d'œuvre du genre est ce soir présenté en version de concert, quoiqu’il y ait une volonté de mise en espace, avec des entrées depuis le public ou des interventions depuis le premier balcon.
Le ténor Valerio Contaldo, compagnon de route fréquent d’Alarcón, interprète le rôle-titre de l’œuvre. Sa voix est ample, avec des couleurs quasi barytonantes, tout en demeurant à l’aise dans les aigus. Il se montre particulièrement convaincu lorsqu’Orphée, parvenu aux Enfers, implore les dieux souterrains de s’apitoyer sur son sort, l’interprète sachant concilier technique et émotion, faisant des trilles à la fin de l’air le reflet des tressaillements qui agitent son personnage et non un simple exercice de virtuosité baroque.
Son Eurydice est incarnée par Mariana Flores, également fidèle partenaire artistique d’Alarcón. D'une présence scénique affirmée, avec une posture des bras évoquant presque une danseuse flamenco, la soprano argentine fait retentir une voix solaire, à l’image de son personnage de muse qui hante le héros même après sa disparition. Celle qui annonce son décès, justement, la Messagère est interprétée par la mezzo Giuseppina Bridelli. Ce rôle assez bref, mais très important d’un point de vue dramatique, est servi par la grande habileté vocale de la chanteuse au timbre mordoré, exprimant le deuil en allant de graves gutturaux jusqu’à des aigus acérés. Une autre mezzo se retrouve aux Enfers, Anna Reinhold, en Proserpine (qui campe également l’Espérance). Elle livre une interprétation tout en finesse, d’une voix demeurant chaude et ample le long des vocalises monteverdiennes.
Quant au mari de Proserpine, Pluton, il est incarné par le baryton Alejandro Meerapfel, qui dispose d’une voix idéalement sombre et caverneuse pour ce personnage, avec un phrasé limpide. Parmi les tessitures graves, Salvo Vitale, qui interprète Charon, impressionne pour la densité et la richesse de son timbre de basso profondo. Autre basse, l’italien Matteo Bellotto (berger) dispose d’un beau timbre boisé. Il s’équilibre bien avec les autres interprètes dans les ensembles, ce qui est également le cas du ténor Alessandro Giangrande (berger, Apollon), qui dispose d’une voix légère et claire, avec une présence scénique idéale pour les moments d’allégresse, de par son emploi jovial (quoiqu’il puisse également exprimer les instants tragiques). Le ténor Nicholas Scott s’avère très présent au fil de l’œuvre, sans détenir de rôle principal, puisqu’il en traverse trois (un berger, un esprit et l’écho). En chacun d’eux, il témoigne d’une belle musicalité, avec sa voix douce et lumineuse. Deux membres du chœur s’en extraient à plusieurs reprises pour des parties solistes. La première est la soprano Estelle Lefort (nymphe), à la voix joliment timbrée et à la diction précise, le second la basse Philippe Favette (esprit), au timbre riche, avec des graves pleins d’autorité.
La Cappella Mediterranea, sous la direction leste et impliquée de Leonardo García Alarcón, interprète le chef-d'œuvre de Monteverdi avec finesse et soin. Les tempi se font assez rapides, notamment dans la fameuse toccata d’ouverture, tout en laissant les nuances de la partition exister, enrichie par la présence des instruments d’époque, comme lorsque la complainte nasillarde des cornets à bouquins évoque les enfers où est piégée Eurydice. Quant au Chœur de chambre de Namur, il s’intègre pleinement dans cet ensemble, bien en rythme, dynamique, tout en gardant un son aérien et léger en accord avec l’esthétique baroque.
Le public se montre plus qu’enthousiaste, les applaudissements poussant les interprètes à faire un bref rappel d’un chœur du Prologue, malgré l’heure avancée. En début de spectacle, Alarcón avait dédié le concert au regretté contre-ténor James Bowman, qui s’est éteint quelques jours auparavant. Cet Orfeo aura été un bel hommage à ce talent disparu.