Mozart par Spinosi, une réserve de surprises au TCE
La Grande Messe en ut mineur est la première œuvre religieuse de Mozart totalement dégagée des exigences d’une commande et composée dans une totale liberté. C’est également dans une grande liberté que Jean-Christophe Spinosi emmène l’Ensemble Matheus, son interprétation s’éloignant de tout académisme, réservant de nombreuses surprises. Tout d’abord sa direction peut surprendre tant elle est peu conventionnelle. Son désir de partage semble plus fort que tout : avec une constante énergie et de façon chorégraphique, il indique aux instrumentistes les phrasés, les nuances, les appuis et les suspensions. Les moindres détails sont pensés et chaque note se charge de sens, les thèmes sont ciselés et les contrechants circulent dans la masse orchestrale. Il obtient des pianissimi renversants, et, dans un grand contraste, souvent soudain, la phalange s’emporte soutenue par des timbales vigoureuses. Il s’autorise grandement le rubato (souplesse rythmique) dans le menuet de la Symphonie n°41 et la danse suspendue n’en repart que de plus belle dans un déchaînement valsé. Tel un conteur musical, il méduse l’auditoire qui, étourdi par tant d’intentions et de détails, en perd parfois le sens de la phrase.
Les instrumentistes, eux, ne s’égarent jamais, fidèles compagnons ils répondent au plus près au projet du chef. Que les archets caressent les cordes ou bien les frottent vigoureusement, l’homogénéité demeure intacte. Les couleurs des bois envoutent et ils se font « voix » dans Et incarnatus est aux cotés de la soprano Nina Maestracci. Sa voix angélique s’envole dans les espaces célestes, avec la souplesse du phrasé et la facilité des aigus idoine pour ces pages exigeantes composées par Mozart.
Si le tempo allant du Christe initié par le chef ne permet pas à la chanteuse d’égrainer sereinement les mélismes de la pièce, cette dernière mêle cependant son timbre à celui d’Ana Maria Labin et toutes deux atteignent des sommets de suavité dans le Domine Deus. Cette douceur, Ana Maria Labin la préserve dans le Laudamus te et, si les vocalises sont assurées, la nuance demeure cependant confidentielle et la joie peine ainsi à s’extérioriser. En contraste, le ténor Krystian Adam et la basse Luigi de Donato affirment une présence incarnée davantage tournée vers la théâtralité. Les timbres chatoyants s’affichent, créant parfois un déséquilibre au sein du trio et du quatuor dans lesquels ils interviennent.
Les parties de chœur sont investies par de jeunes chanteurs en voie de professionnalisation issus de Vox 21 (dirigé par Evann Loget-Raymond qui intervient au milieu du pupitre des altos) et de l’Ensemble vocal Lili Boulanger. Le petit effectif (23 chanteurs) ne parvient pas toujours à passer la masse orchestrale, néanmoins, l’ensemble opère avec précision, rendant le texte nettement grâce aux consonnes affirmées et les fugues limpides grâce aux vocalises ciselées. Les voix peu vibrantes planent pour évoquer la paix sur terre (Et in terra pax) et frottent âprement sur les dissonances dramatiques de « Gratias agimus tibi propter magnam gloriam tuam » (Nous te rendons grâce pour ta gloire immense).
De nombreux fans applaudissent et sifflent d'enthousiasme les artistes. Jean-Christophe Spinosi prend la parole pour rendre hommage à James Bowman, fameux contre-ténor décédé quelques jours auparavant, la Grande Messe de Mozart devenant « une messe pour James ».