Philippe Jaroussky et L’Arpeggiata dans tous leurs états au TCE
Philippe Jaroussky et Christina Pluhar se retrouvent pour célébrer leurs vingt ans de collaboration. À cette occasion, ils explorent les musiques de cour françaises, allant de Boësset, Moulinié et Lambert aux classiques du baroque italien et anglais avec Monteverdi, Rossi et Purcell, dont le Music for a while clôt le programme de la soirée – un programme repris avec un plaisir évident, avec gaieté et humour comme avec émotion, pour le plus grand bonheur d’un public particulièrement enthousiaste qui, à peine les artistes entrés sur scène, les salue déjà d’un tonnerre d’applaudissements.
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Le concert commence avec Nos esprits libres et contents de Boësset et se poursuit d’airs et en airs, dont des parties seulement instrumentales et des improvisations permettant à L’Arpeggiata de démontrer son habileté au jeu du baroque, sa maîtrise évidente des styles de l’époque et sa capacité à se les réapproprier – avec une certaine modernité dans les improvisations et surtout, une belle unité de rythme où chaque musicien est en phase totale avec l’autre. La connivence entre le percussionniste et le contrebassiste qui lui répond en donne un exemple, lui aussi donnant de petits coups sur le bois de son instrument. Dans tout et en tout, L’Arpeggiata démontre également finesse et équilibre, précision dans le moindre détail et pourtant, grande souplesse dans l’interprétation – et quelques libertés vers la fin du concert, notamment par le corniste qui s’amuse, avec son cornet à bouquin, à faire passer quelques thèmes connus, dont celui de la Marche turque de Mozart, au sein du madrigal de Monteverdi « Ohimè ch’io cado » (Hélas, je tombe).
Au théorbe, Christina Pluhar dirige tout en jouant elle-même avec à la fois calme et entrain, fermeté et une certaine délicatesse. Pendant l’improvisation sur La dia spagnola, les autres joueurs s’interrompent pour laisser les notes de son théorbe s’envoler, lumineuses et solitaires, laissant dans leur nuée des spectateurs mélancoliques – avant que les autres musiciens reprennent leur dialogue tous ensemble, avec énergie et fougue.
Philippe Jaroussky démontre lui aussi une indomptable énergie et ce soir, il a décidé de faire rire son public d’entrée – cela après avoir interprété, plus sérieusement, Nos esprits libres et contents. La voix cependant, peine à se déployer entièrement et paraît restreinte dans cet air plus grave – le chant se dégagera pourtant aisément par la suite et Philippe Jaroussky reconquerra sans difficulté ses habituels aigus généreux et cristallins et cette aisance dans les envolées baroques qu’il n’a plus besoin de démontrer, notamment dans l’émouvant « Lasciate Averno » de L'Orfeo de Rossi.
Il s’amuse – et le public avec – à plonger dans une théâtralité très engagée (parfois jusqu'à l'excès) autour d’airs comme Aux plaisirs, aux délices bergères de Guédron qu’il commence depuis les coulisses, avant de venir passer le bout du nez sur scène et finalement, de revenir chanter. Il vient également jouer les chefs d’orchestre (ce qu'il est également désormais) en invitant le public à participer en rythme, en tapant des mains, au Canario d’Allegri joué par L'Arpeggiata.
Au milieu de tous ces rires, se remarque d'autant plus sa très belle reprise du Concert de différents oiseaux de Moulinié qui soudain, instaure un silence presque sacré dans salle et que Jaroussky poursuit d’une voix douce jusqu’aux dernières notes qui s’envolent et demeurent, dans une seconde intense, suspendues dans les airs, avant que L’Arpeggiata n’enchaîne – trop rapidement – avec la suite.
Pour le bis, après avoir interprété la Chaconne du Paradis et de l’Enfer à deux voix (dont celle du corniste, qui vient s’amuser à taquiner Philippe Jaroussky d’un chant à peine lyrique et imitant les chanteurs d’opéra), les musiciens se lancent dans un air de Cour retrouvé au cours de leurs recherches pour leur dernier album, mais qu’ils n’ont pas osé y inclure... Alors le contre-ténor commence à chanter, les notes s’envolent et retombent soudain sur un « Déshabillez-moi ! », s’enchaînant ensuite de façon telle que le contre-ténor entame un strip-tease (très sage) sur la scène du TCE en faisant d’abord tomber la veste qu’il lance, tel une rock star, dans le public, puis la cravate. L’air se conclut sur un « Déshabillez-vous ! » qu’il lance au public, lequel éclate en rires et en applaudissements intarissables.
Le dernier bis enfin, avec Vos mépris chaque jour de Lambert est dédié au contre-ténor James Bowman, décédé la veille du concert.
Les spectateurs quittent, émus et joyeux, le Théâtre des Champs-Élysées et retrouvent une nuit agréable où se prolongent les souvenirs pétillants de ce soir.