Thésée de Lully victorieux au Théâtre des Champs-Élysées
Christophe Rousset et son ensemble Les Talens Lyriques poursuivent leur conquête des tragédies lyriques en inscrivant Thésée de Lully à leur palmarès (dans une version de concert). La grande variété expressive de la musique de Lully s’allie à la richesse dramatique des vers de Quinault dans une adéquation qui captive l’auditoire durant les 2h40 de musique (un prologue et cinq actes). La partition s’articule dans une multiplicité de moyens éloquents, de l’exubérance martiale au son des trompettes et du tambour, jusqu’aux récitatifs, airs et petits ensembles dévoilant les sentiments des personnages. À cela s’ajoute le chœur omniprésent participant à l’action, et les nombreuses scènes de ballet inséparables du genre.
L’histoire relate la jeunesse de Thésée, ses faits de victoire et ses amours pour Aeglé. Elle célèbre dans un même temps la figure du roi Louis XIV (le prologue se déroulant dans les jardins de Versailles, les qualités héroïques de Thésée et sa victoire sur les athéniens se transposent sans équivoque au Roi Soleil et à ses récentes victoires dans les Flandres).
Bien que faisant une entrée triomphale, il faut cependant attendre le deuxième acte pour voir apparaître le héros (son rôle étant au final assez concis) et c’est le personnage de Médée qui apparaît comme la figure centrale de l'œuvre. Ce personnage jaloux, maléfique et manipulateur rassemble pour elle les pages les plus tragiques de l’opéra que la mezzo-soprano Karine Deshayes interprète avec vigueur. Elle révèle Médée, amoureuse de Thésée, dans tous ses excès, du dépit mortel au transport jaloux. L’ample espace de résonance rend l’intensité de ses interventions tout en préservant l’intelligibilité des vers, les consonnes percutent et les appuis sur certains mots font mouche. Si l’intensité ne faiblit jamais, la chanteuse sait cependant contenir son chant et user de douceur pour parvenir à ses fins.
Elle malmène Aeglé, sa rivale, incarnée par Deborah Cachet qui tente de se défendre dans une agitation posturale inquiète. La soprano fait poindre toute la sensibilité du personnage (qui préfère renoncer à Thésée plutôt que de le voir mourir) de la suavité de son timbre et de la délicatesse de ses phrasés. « Il n’est rien de si beau » que lorsqu’elle marie sa voix à celle de Marie Lys, sa confidente Cléone. Cette dernière manipule Arcas (le confident du roi Égée), sa voix souple se faisant miel tout autant qu’elle impose son autorité dans une projection indiscutable.
Le haute-contre (ténor aigu) Mathias Vidal incarne Thésée en imprimant chacune de ses interventions d’un engagement dramatique sans retenue. Sa voix claire et son émission aisée lui permettent une interprétation précise du texte et des intentions touchantes. Ces mêmes intentions peuvent toutefois amenuiser la simplicité des lignes de chant, dans des nuances extrêmes et des appuis accusés.
Le roi Égée du baryton Philippe Estèphe est davantage humain qu’impérieux, son chant pouvant manquer de puissance pour asseoir la majesté du rôle. Néanmoins sa voix chatoyante et précise suggère finement les failles du personnage qui n’en est « plus au temps de l’aimable jeunesse ».
La voix de basse de Guilhem Worms impose le personnage de Mars au prologue dans une projection assurée, avec des résonances amples impressionnantes. Sans perdre cette prestance, il incarne Arcas avec une certaine bonhomie, assumant de se faire manipuler par Cléone avec le sourire.
La soprano Thaïs Raï-Westphal chante l’air de Vénus du prologue (« Revenez, amours, revenez ») avec un naturel confondant, ornant son chant comme elle respire. Son émission demeure proche de la place déclamatoire, l’auditoire profitant ainsi de tous les vers du librettiste.
Bénédicte Tauran prête sa voix colorée (autant que sa robe, rouge) au personnage de Minerve et de la Grande Prêtresse, effectuant les ornements précisément aux répétitions du texte.
Robert Getchell et Fabien Hyon campent deux vieillards à la voix bien robuste, jouant davantage avec les appuis du texte qu’avec leur timbre qu’ils préservent dans une complémentarité sensible.
Le Chœur de Chambre de Namur, préparé par Thibaut Lenaerts, délivre ses nombreuses parties avec brio. Le son d’ensemble étincelle et le détaché percute à l’instar des coups d’épée dans la bataille ou des ricanements des habitants des enfers.
Christophe Rousset dirige Les Talens Lyriques de son clavecin sans cependant y séjourner très longtemps, tant il est attentif à la cohérence de l’ensemble. En équilibrant les masses sonores afin de prioriser le texte, il met en exergue la primauté des vers sur la musique. Les trompettes et le tambour agrémentent les pages martiales ou cérémoniales avec entrain. Cependant, les nombreuses danses parsemant l'œuvre demeurent souvent bien sages, la prévalence du beau son et la permanence d’un certain legato amenuisant la cadence.
Si cette tragédie lyrique fut pensée pour impressionner les ambassadeurs étrangers, elle conquiert ce soir l’auditoire du Théâtre des Champs-Élysées qui, de par sa clameur, porte Thésée victorieux.