Solar, Fresque écologique à La Monnaie de Bruxelles
Mêlant les chœurs d’enfants de la maison (direction Benoît Giaux) et de jeunes artistes, Solar s’annonce comme une mise en garde émouvante mais pleine d’espoir, à mi-chemin entre opéra et fête survitaminée.
Après Sindbad, Orfeo & Majnun et Push qui étaient des « Community projects » par et surtout pour les jeunes, Howard Moody s’est attelé à ce Solar - Icarus burning. Cette légende (toujours actuelle) de l’homme brûlé par sa soif d’élévation, d’innovation et de technologie, s'est imposée au compositeur en pleine quête d’inspiration lors de sa visite au Musée de Beaux Arts de Bruxelles : face à La Chute d'Icare (vers 1558) de Pieter Brueghel l’Ancien.
Les ateliers de La Monnaie s’y prêtent pleinement, par la taille de cette Salle Malibran, sa dimension modulable et même en tant que telle : le projet s’inscrivant ainsi dans la démarche écologique activement menée par La Monnaie, dans ses ateliers notamment.
À Lire : notre article consacré au projet Green Opera de La Monnaie
Le sujet est percutant mais la mise en scène (signée Benoît de Leersnyder avec décors & costumes d'Emilie Lauwers) et la musique portent le propos en douceur, incluant les spectateurs installés tout autour de la scène ronde comme notre Terre. Dans ce Théâtre moderne et Antique, se déroule une épopée humaine : Icare assiste au meurtre par son père Dédale de l'apprenti de celui-ci, Talos (Dédale et Icare son voyant alors enfermés dans le labyrinthe par punition). La quête se fait alors double pour Icare : une évasion et une reconstruction de sa psyché et de la planète. Solar parle ainsi des conflits entre deux mondes, ceux de notre civilisation et de notre nature : écologique et humaine, parmi des codes de l’apocalypse future (avec des pierres gravées formant un labyrinthe en référence à celui construit par Dédale sur Minos, un sol aride, des vêtements en lin et chanvre aux couleurs écrues).
Car en effet le héros du tableau de Brueghel l’Ancien n’est pas Icare mais plutôt le paysan au premier plan qui laboure et prend soin de la terre. Et c’est comme si Howard Moody recentrait lui aussi l’attention sur cette Terre, en interpellant directement le public.
Caché dans un espace sombre dans les hauteurs, l’Ensemble de musique de chambre de La Monnaie dirigé par le compositeur dessine le raffinement de sa musique. Entre contemporain et classique, les accords teintés de baroque et de sonorité jazz, se font aussi hybrides métalliques. Placés dans les travées parmi le public, les choristes aux costumes dédaléens englobent l’acoustique de puissance et d’aigus perçants.
Équilibrés et sensibles, ils s’affirment avec une grande maturité et dans un esprit de bienveillance générale. Mêlant théâtre, danse, performance et chant, l’image d’un “chœur” tragique antique grec est complète. Le groupe en costumes de soleil est bouillonnant d’énergie et de vindicte populaire. La chorégraphie de Karine Girard dessine un rituel, suivant par son mouvement le cercle de la scène. Le résultat est à l’image de l’opus, empreint d’une énergie solaire, calibrée et millimétrée, généreuse.
Le quatuor de solistes se montre aussi énergique (malgré cette période propice à différents virus). Emma Posman dans le rôle de Talus dessine une voix extrêmement claire et puissante de vibrato. Sa projection et ses résonances font leur plein effet sur le public et les enfants captivés (comme elle avait déjà marqué les esprits de ces même jeunes choristes avec une Flûte enchantée version Mozart for Kids et avant d’honorer le lendemain une invitation de Barbara Hannigan à Flagey pour le Klara Festival).
Logan Lopez Gonzalez (également membre de La Monnaie Academy) déploie la sensibilité et la grande clarté de sa voix de contre-ténor, dessinant un Icare au destin tragique, pourtant plein d’espoir et lui-même solaire. Même un peu souffrant et sollicité dans les hauteurs, le chanteur réussit à tenir le cap, et sa puissance couvre même parfois l’orchestre. Pourtant, il ne cherche jamais la puissance mais toujours une forme intime de phrasé, au service de la précision prosodique et musicale de cette partition.
Michael J. Scott assume pleinement son Office dans le rôle de Minos, effroyable roi insensible à la souffrance de son peuple. Son ténor énergique met sa voix claire au service d’un caractère perfide avec une précision prosodique anglaise impeccable.
Kris Belligh de son côté campe un Dédale empreint d’un tragique profond, à la mesure de sa voix de baryton. Boisé, ample et précis, le timbre affirme une certaine autorité vocale, qui bascule dans le tragique à la perte de son enfant pour verser lui aussi dans la rage.
Encore une fois, La Monnaie œuvre concrètement pour le renouvellement de l’opéra, de ses interprètes, de ses publics. La pandémie l’avait séparé de son public visiblement gourmand de reconnexion et de partage (à en croire l’accueil très chaleureux réservé à cette proposition). Cet envol est aussi celui d'une nouvelle génération dans le spectacle et même sur scène avec générosité et dynamisme comme la maison l'avait fait pour le Triptyque de Puccini.