Barbara Hannigan à BOZAR, Mahler 4 incarné
La cheffe illustre le titre de cette édition “Becoming Music”, pour ce concert d’ouverture du Klarafestival (du nom d'une radio flamande de musique classique, par la contraction de Klassieke Radio). Si le public bruxellois est habitué à voir Barbara Hannigan en soliste vocale, comme dernièrement à nouveau en Lulu mise en scène par Krzysztof Warlikowski, c’est dans le rôle de cheffe qu’elle dessine ici une musique précise et fluide. Quelques jours après la journée des droits des Femmes, Barbara Hannigan impose sa précision et souligne résolument la finesse de l’orchestre.
Originellement prévue pour interpréter elle-même le solo de la Symphonie n°4, Barbara Hannigan décide pour des raisons de santé de mettre en lumière la présence de la soliste remplaçante Aphrodite Patoulidou qui a rejoint Equilibrium Young Artists (projet de mentorat artistique fondé en 2017 par Hannigan).
Connue pour son lien corporel particulier avec la musique, Barbara Hannigan s'entraîne à la manière d’une athlète pour ses rôles scéniques et cette physicalité particulière se retrouve dans sa direction, incarnée à la manière d’une performance. Se passant de la baguette afin de mettre en avant l’expressivité de ses mains, l’instrument du corps épouse l’ampleur de la musique. Souple, ferme et résolument précise, la direction semble laisser place à un ensemble organique qui évolue physiquement à la manière d’un matériel calibré et pulsatif. Le London Symphony Orchestra la suit par un degré de concentration et de précision remarqué. La verticalité des quatre méditations religieuses autour de l’ascension se meut dans une sonorité ronde. Les graves profonds des percussions, altos et violoncelles se font le seuil d’une élévation acidulée des vents et des violons, presque sensuelle et étirée. Le tout mène vers l’éthéré et l’impalpable dans une version suspendue de cette quatrième symphonie mahlérienne parmi les plus dépouillées du compositeur (quoique toujours et ici aussi ample et complète).
La chanteuse grecque Aphrodite Patoulidou fait une apparition remarquée. Tenant une voix extrêmement riche et boisée dans les graves, mais aussi claire et assurée dans les aigus, elle dessine des lignes de paroles chantées avec une narration joyeuse et céleste. Alliant les registres classiques et contemporains, cette artiste aux multiples talents qui chante également par ailleurs de la musique métal, offre une intensité de timbre et une prosodie impeccable apportant en un temps record une touche personnelle à l’opus.
La Symphonie n°4 trouve ainsi une version doublement féminine incarnée et le Festival s’ouvre sous les forts applaudissements du public. Barbara Hannigan y reviendra pour des œuvres de Stravinsky, Ravel, Delage en compagnie de l’Ensemble Equilibium et du Ludwig Orchestra (à retrouver dans notre compte-rendu de disque Classique mais pas has been : Dance with me).