Climat à Montpellier : Opéra Junior fait monter la température !
Ce sont donc deux britanniques qui signent cette commande de l’institution, une œuvre ouvertement politique qui s’appuie directement sur les évènements actuels du militantisme écologiste, porté par une fraction de la jeunesse et notamment sa figure tutélaire, explicitement citée elle aussi : Greta Thunberg. Une collégienne, Juliette, rencontre par hasard un groupe de manifestants écologistes sur une de leurs actions et prend alors conscience après introspection des enjeux du dérèglement climatique. Elle se mêlera ensuite à leur mouvement. Ce qui finira par la conduire jusqu’au saccage de l’entreprise de peinture industrielle pour laquelle travaille sa mère Alice.
Le livret, laissant peu de place à la poésie, emploie un langage courant voire vulgaire. Il s’ancre dans notre époque voire dans notre décennie en citant également certains réseaux sociaux ou jeux vidéo (ce point d’appui marqué sur des phénomènes d’actualités étant certainement amené à poser la question de son éventuelle postérité). La scène d’exposition en particulier est constituée exclusivement des moments de vie quotidienne que chacun peut vivre chez soi.
La composition est beaucoup plus intemporelle. Bien qu’empruntant, avec une relative parcimonie, certains procédés à la musique contemporaine (notamment cassures rythmiques et dissonances), elle reste tout à fait accessible. L’arrangement orchestral est riche et travaillé. Il est également en synergie étroite avec le livret et permet de marquer par des effets de puissance (de cuivre en particulier) ou au contraire de discrétion, les moments clefs du drame. Les chœurs sont mis à l’honneur avec la présence de vastes ensembles qui occupent une place cruciale dans l’œuvre. L’écriture des lignes vocales solistes en récitatifs trouve ses influences dans l’impressionnisme. Leur fréquente lenteur rythmique a pour conséquence de faire durer certaines phrases, certainement trop ambitieuses pour une distribution de très jeunes artistes.
À une exception près, la diction de ces jeunes chanteurs est pourtant quasi impeccable (traduisant l’importance accrue et appréciable qu’accordent les écoles et formations de chant à ce paramètre). Les surtitres paraissent par conséquent presque inutiles bien que cette œuvre soit, par essence, totalement inconnue du public.
Vocalement, les rôles principaux sont assurés avec enthousiasme mais l’incarnation des rôles secondaires est beaucoup plus inégale. Hermione Delaygue interprète le rôle de Juliette, présente sur scène quasiment tout au long de la pièce. Elle fait preuve de l’endurance nécessaire. La voix ne montre pas une puissance excessive (le rôle ne s’y prête d’ailleurs pas) mais est suffisamment audible même quand l’orchestration s’intensifie. Le phrasé est précis et intelligent. Le timbre est clair et les notes sortent avec fluidité. L’implication scénique est aussi très forte, notamment dans les duos avec sa mère Alice qui procurent au public des moments d’émotions tout à fait crédibles.
Alice est chantée par Romane Minodier. Elle maîtrise les médiums qui foisonnent dans sa partie. Une grande maturité se dégage dans l’interprétation du personnage et notamment dans sa capacité à incarner son impuissance : face à son entreprise, au mode de vie imposé par la société, à la crise d’adolescence de sa fille… mais aussi dans sa volonté de comprendre et soutenir cette dernière, que le livret pousse loin (elle affirme ainsi que "le monde a besoin d'elle et tous ces jeunes gens" alors que les manifestants -dont sa fille- viennent d'infiltrer son entreprise).
Sacha Baron Daltrozzo incarne un militant écologiste particulièrement radical. Les aigus sont justes même si des hésitations se font sentir dans son placement. Il pourrait probablement briller encore plus avec davantage de confiance. Le rôle d’Ella apparaît trop difficile pour Finoana Beulque. Malgré une volonté visible de bien faire, elle manque de souffle, les notes sont rarement justes et les phrases peu compréhensibles. Anna (amie présente lors de la « conversion » à l’écologie de Juliette) est incarnée de manière subtile par Bérénice Diet. Le ton est juste et les répliques bien rythmées. Charlotte Gleize (collègue empathique d’Alice) possède des aigus au timbre cristallin, les techniques de respiration sont maîtrisées et elle semble finir avec aisance ses (parfois longues) phrases. En Principale, Maïlys Nelva montre des graves très prometteurs. Mélina Corniquet en Présidente du conseil d'administration de l’entreprise de peinture (accompagnée par un orchestre souvent dense) manque parfois de puissance pour être suffisamment audible. La voix se dérobe et manque de tenue. Elle compense cependant ces défauts par son implication efficace dans la mise en scène. Elle fait preuve de précision dans les déplacements. Le Nico de Camille Bouland convient tout à fait à la fraîcheur de l’adolescence qu’il incarne. La Louise d’Ana Desseigne est un symbole de candeur et permet de montrer une autre partie de la jeunesse moins sensible aux discours écologiques. Les journalistes : Elliot Kirkby, Rose Mazeas, Marianne Verdéjo, Géralda Marchal, Saskian Woods, Sacha Grimbert-Berner, Sara Pattou, Gauthier Pillement, Perrine Breinig-Millet et Cyriaque Alarcos ont une réplique chacun dans des langues différentes. Là encore, la qualité de l’expression est variable, en particulier pour les garçons. Le public note aussi la présence de deux comédiennes chansigneuses : Aurore Corominas et Lisa Martin qui traduisent en langue des signes l’ensemble du spectacle.
La mise en scène de Damien Robert est propice à la fluidité des actions. Les mouvements des personnages comme des décors sont rapides et permettent de ne jamais casser le rythme de la représentation. L’équilibre du plateau est respecté avec parfois même des effets de symétrie. Associé à une direction d’acteur pertinente, le drame est rendu de manière tout à fait lisible. Les décors (éco-conçus) de Thibault Sinay sont ternes et montrent sans doute à dessein une supposée insipidité de notre société polluée et stéréotypée : « métro, boulot, dodo » comme le dit Alice. Ils permettent par contre l’identification aisée de chacun des espaces ainsi que la transition de l’un à l’autre. Les éclairages de Mathieu Cabanes sont généralement sombres à l’exception d’effets agressifs à la lumière L.E.D. Certains plus doux s’intègrent à l’esthétique musicale, par exemple le balayement des barreaux au plafond pendant la scène d’introspection de Juliette ou encore le fond vert de la semaine thématique à l’école. L’obscurité générale a tendance à nuire à la bonne perception des éléments de décors et accessoires (les portraits retournés du président par exemple), au point parfois de nuire à l’analyse visuelle de certaines scènes. Les costumes sont constitués d’habits communs. Ils sont adaptés à la condition ou profession de chacun des personnages et certains choix de couleurs permettent une reconnaissance plus facile de certains d’entre eux : les pantalons des militants écologistes par exemple.
Les passages chorégraphiés par Karina Pantaleo se déploient avec amplitude. Ils apportent une vraie force à l’œuvre, en particulier celui des jeunes enfants pendant l’introspection de Juliette ou encore pendant la comptine réécrite qui reste dans la tête du public. La mise en scène met d’ailleurs globalement en exergue les multiples slogans présents dans l’œuvre : qu’ils soient scandés ou écrits avec humour sur des affiches. Certains frisent parfois l’appel à la violence. Une volonté de briser le mur entre la scène et le public est donc présente. Cela se remarque aussi dans plusieurs passages où les protagonistes sont en avant-scène et s’adressent directement au public dans le but de les appeler à réfléchir sur leur capacité à agir pour l’environnement. Damien Robert et Karina Pantaleo n’ont pas peur d’appuyer lourdement sur les caricatures (orientées politiquement) tirées par le compositeur et la librettiste. Les cadres de l’entreprise de peinture, habillés en gris noir et associés à un motif musical quasi diabolique, avancent sur Alice tels des fauves sur leur proie dans la scène où elle leur propose une peinture plus écologique. La chorégraphie sur l’intervention de la police à l’usine de peinture se constitue d’une scène de matraquage unilatéral, laissant tous les manifestants à terre pour mort (à l’exception de Juliette qui se relève).
L’Orchestre national Montpellier Occitanie dirigé par Jérôme Pillement (également Directeur artistique d’Opéra Junior) saisit les contrastes de la partition et ses liens étroits avec le livret. Cela s’entend particulièrement dans la scène d’introspection de Juliette durant laquelle l’orchestre tonitruant accompagne la descente progressive du plafond écrasant les protagonistes (en métaphore de ce que ferait le dérèglement environnemental s’abattant sur notre monde). Les cuivres sont particulièrement brillants. La direction est dramatique tout en faisant preuve de précision et de régularité dans l’exécution. L’orchestre met également à l’honneur les passages dans lesquels les influences de la musique vivante sont reconnaissables. Les chœurs sont coordonnés, aussi bien dans la mise en scène (et en particulier les chorégraphies) que dans leurs parties vocales. Celui du Petit Opéra livre une interprétation pure et limpide mais puissante. Dans le chœur Jeune Opéra, les pupitres féminins, bien que moins impliqués que les enfants, chantent leurs parties avec articulation et fluidité. Dans le chœur masculin en revanche, des problèmes de souplesse comme de justesse se font entendre, possiblement à cause d’une technique pas encore tout à fait adaptée à la mue de leur voix.
L’Opéra de Montpellier propose ainsi à la fois une création sur un thème d’actualité et son interprétation par une troupe entièrement constituée de chanteurs juniors, vivement applaudis pour leurs efforts par le public. La composition, bien que contemporaine, demeure très ancrée sur le drame et est en ce sens héritière du romantisme. Elle permet, associée à la mise en scène, de rendre le livret impactant. Ce dernier se révèle toutefois clivant, tant par son marquage politique et idéologique que par ses partis pris stylistiques. Si la cause climatique est parfois présentée comme négligée dans nos sociétés développées, le Climat de l’Opéra Comédie a au moins la vertu de mobiliser la jeunesse lyrique de Montpelier dans un projet artistique.