Lohengrin de Wagner dans les étoiles à New York
Le Met présente une nouvelle production du Lohengrin de Wagner, un opéra qui n'appartient pas à la tétralogie du Ring, mais François Girard choisit malgré tout de se saisir thématiquement du motif de l’anneau, ou du moins d’une perspective circulaire et cosmique, en articulant toute la mise en scène autour d’un ciel ouvert, le plateau se trouvant dans une ouverture circulaire béante où les personnages interagissent. Cette perspective insiste donc sur les aspects symboliques de l’opéra – couleurs, dynamiques et une certaine lune qui rappelle Melancholia de Lars Van Trier. Toute la mise en scène insiste par cette plongée dans ce puits sur les côtés véritablement sombres de l’œuvre de Wagner, et laisse parfois espérer un peu du soleil de New York, la levée d'un astre en regardant vers les étoiles.
Yannick Nézet-Séguin transporte avec une grande subtilité dans les forêts germaniques, en choisissant de miser sur la douceur de la mélodie. Ce jeu élégant permet alors une mise en place habile de chacune des voix. Le chœur s’inscrit en effet dans ces mêmes dynamiques, en mêlant puissance et attention. Cette douceur ambiante entraîne parfois un certain manque de clarté, et la diction du chœur n’est pas parfaite, malgré des efforts notables des basses en ce sens. Les ténors se concentrent plus sur la beauté de leurs aigus. Pour les voix de femmes, les altos travaillent sur les résonnances, mais perdent parfois un peu de puissance, en devenant trop discrètes. Les sopranos proposent quant à elles une interprétation vocale plus particulière, notamment dans une qualité de son qui privilégie une prise de voix par le dessus, donnant une rondeur à l’ensemble du chœur.
La mise en scène de François Girard insiste sur les oppositions visuelles (notamment dans les couleurs des costumes), et le chœur suit donc les mouvements et dynamiques politiques de l’opéra. Les personnages principaux se retrouvent donc identifiables assez facilement. Le parti du roi Heinrich est ici en vert, avec à sa tête le roi lui-même, interprété par Günther Groissböck. La basse offre une incarnation tant physique que vocale, avec des graves impressionnants, jouant sur des sonorités caverneuses, associées avec un ton relativement sec, même s’il se laisse aller à quelques inexactitudes rythmiques. Le héraut, Brian Mulligan, est un adjuvant discret et qui reste ici dans l'ombre, mais il se remarque par un vibrato fin et une saturation du ton qui apporte une touche intense à l’opéra.
Les opposants de l’opéra sont identifiés par la couleur rouge, avec en premier lieu Friedrich Von Telramund, incarné ce dimanche par Thomas Hall (remplaçant Evgeny Nikitin). Le baryton propose une performance tout à fait convaincue pendant les quatre heures d’opéra. Il choisit ici de faire du comte un personnage dramatique, en insistant sur une certaine théâtralité, dans ses mouvements sur scène mais aussi à travers des effets de voix proches du parlé. Dans les moments plus lyriques, il s’avère puissant, bien que son ton reste un peu sec, ce qui le force à pousser un peu la voix. Il forme un duo dynamique bien qu’un peu agressif (ce qui est tout à fait crédible pour ces deux « méchants » de l’histoire) avec Christine Goerke en Ortrud. La soprano joue ici sur ses sonorités chaudes et l'amplitude de voix, avec une assez grande puissance, bien qu’elle pousse un peu jusqu’à s'approcher d'un effet plus criard. Christine Goerke montre ici aussi une grande technique vocale, à l’aise dans les aigus comme dans les graves, ces derniers étant particulièrement impressionnants à en juger l'effet sur le public. Sa performance d’actrice entraîne cependant un autre effet sur le public (loin d'être tendre et riant de ce qu'il prend pour des grimaces).
Les quatre nobles du Brabant font aussi partie visuellement de cet ensemble rouge. Leur intervention est courte mais permet néanmoins de distinguer des personnalités vocales différentes. Errin Duane Brooks est puissant mais avec un ton assez sec. Anthony Clark Evans prend un peu la direction du groupe en assurant une rondeur et une chaleur puissante dans des interventions dynamiques et rythmées. Stefan Egerstrom est assez discret, mais se remarque tout de même par de jolis aigus. Thomas Capobianco est ici le plus faible, avec une justesse un peu approximative, bien qu’il s’investisse physiquement.
En parallèle des nobles, quatre voix de femmes incarnent les Pages. Les deux sopranos Alexa Jarvis et Anne Nonnemacher associent leur musicalité à une certaine puissance, quand les deux altos Catherine MiEun Choi-Steckmeyer et Andrea Coleman s’investissent dans des doubles voix rondes et amples. Mais l’ensemble manque de puissance et s’avère souvent trop timide ou incertain, même s’il en ressort une douceur non négligeable dans cet opéra relativement rude.
Les deux héros de l’opéra sont bien sûr Elsa von Brabant et Lohengrin. Elsa est interprétée avec efficacité et subtilité par Tamara Wilson. La soprano met ici l’accent sur un son chaud, tout en montrant des aigus finement vibrés. La rondeur du ton laisse transparaitre des aspects plus nasillards, mais surtout un naturel dans le vibrato, et une diction ample, qui en font un personnage délicat bien qu’efficace sur scène.
En Lohengrin, Piotr Beczala choisit lui aussi la douceur, mais une chaleur dans le ton, et une interprétation souple. L'interprétation semble facile, au point qu'il ne semble pas devoir s'y investir physiquement. La technique vocale du chanteur n'en demeure pas moins exemplaire et modulée. Enfin, Andrew Spriggs joue le rôle du Duc Gottfried, le frère d’Elsa, en une apparition finale lunaire qui résonne avec l'astre mélancolique ayant accompagné cette production.
De nouveau nombreux, le public du Met réserve ses traditionnels applaudissements des morceaux de bravoure pour se concentrer plus profondément sur le temps long de la musique de Wagner, lâchant la bride à de grands et enthousiastes applaudissements lors des longs saluts.
Cette production sera retransmise en direct du Met dans les cinémas le 18 mars : Retrouvez toute la programmation des Opéras aux Cinémas en 2022/2023