Les Capulet et les Montaigu dans le souffle glacial de Trieste
Retrouvez également notre compte-rendu de l’autre distribution en alternance de cette production
Cette mise en scène créée à Vérone, la ville de ces amants légendaires, poursuit ainsi sa tournée qui l’aura menée, au-delà de l’Italie, jusqu’à Oviedo et même Oman. Et pour cause, cette mise en scène joue de la modernité d’un classique, représentant même un musée, de l'époque Bellini mais restauré de nos jours (par des artisans-techniciens au travail). La nuit, les personnages sortent des tableaux, s'animent et racontent l'histoire des amants de Vérone.
Les costumes de velours (n’empêchant nullement les interprètes dans leurs mouvements) accentuent encore le raffinement de la production, et les contrastes entre les familles dans la pleine signification de la pièce : le bordeaux des Capulet rappelle leur soutien à l'Église, le gris foncé des Capulet souligne leur esprit de vengeance et d’autant plus la pureté de Juliette, en blanc.
Le plateau se nourrit de grands espaces autant que de la musique qui se déploie amplement, sans rien renier de la violence dans ce drame (le premier acte se clôt sur l’image d’un père qui crache sur sa fille pour la répudier). Le mouvement du drame et de la musique se conjuguent et se conduisent tout au long de la soirée, porté également par le travail scénique fait avec les chœurs masculins (canevas de la violence et de la haine entre les deux familles).
Le Chœur est toutefois victime de retards, au point qu’il semble difficile de savoir si la lente battue du chef est un choix esthétique ou bien faite pour les attendre (ou un peu des deux). Les choristes n’en demeurent pourtant pas moins une présence constante travaillée scéniquement, féminine uniquement aussi pour le cortège lors de la “première mort” de Juliette. Les voix se conjuguent alors avec la musique religieuse tandis que Roméo et Tebaldo se déchirent en un duo de haine et douleur. De nombreuses scènes données ainsi en parallèle sont clairement rendues par l’espace scénique (salles, halls, salons du musée et grands espaces), en tableaux vivants ralentis et costumes d’époque.
Les basses marquent une forte présence dans cette œuvre de Bellini, en fosse comme sur le plateau. L'Orchestre s’y affirme mais sait aussi se montrer confiant, incisif et libre dans les ouvertures et éclaircies musicales. Viktor Shevchenko se distingue ce soir en Capellio par son phrasé et la ductilité de son registre néanmoins concentré et homogène. Emanuele Cordaro se distingue en docteur par la facilité d'émission de son phrasé avec une texture vocale claire.
L’attention ne s’en focalise pas moins sur la soprano dont la voix et la présence viennent souvent occulter celles de ses soupirants (Roméo et Tebaldo). L’Ukrainienne Olga Dyadiv en Giulietta sait allier la mine apparemment désemparée, vide, avec des élans passionnés, emplis de verve voire de férocité. La voix est à l’avenant, tout en balayant l’ambitus avec agilité et clarté, ainsi qu’un volume notable.
Le rôle de Roméo (en pantalon : celui d’un homme chanté par une femme) échoit à la ductilité vocale de la mezzo géorgienne Sofia Koberidze, agile elle aussi du grave à l’aigu mais avec un volume limité. Bien plus que dans sa fureur, le Tebaldo de Marco Ciaponi s’exprime dans le romantisme, confiant sur sa musicalité mais bientôt recouvert par le plateau et la fosse. Emanuele Cordaro reste discret en Lorenzo, plus encore que le lendemain, esquissant les douceurs de timbre qu’il y déploiera davantage.
L’accueil du public de ce soir reste mesuré, silencieux pendant la représentation, moins pendant les saluts mais bien moins que le lendemain.