Patricia Petibon en récital à l’Opéra de Lyon : un spectacle rempli de surprises
Lorsque l’on va assister à un récital de Patricia Petibon, on se prépare à la personnalité excentrique de la soprano colorature. La belle excentrique est justement le titre de son dernier enregistrement, daté de 2014, et de ce récital dont la première partie en présente quelques œuvres. Au premier abord, le choix du programme peut sembler manquer d’une certaine cohérence : une première partie présentant des mélodies françaises et la seconde des chansons espagnoles. Mais la personnalité de la diva permet une exploration fine de ces musiques intimes, grâce à la précision de sa performance scénique. En effet, le public est amené à découvrir en réalité un récital découpé en quatre parties.
Accompagnée de sa fidèle pianiste Susan Manoff, Patricia Petibon débute par trois mélodies intimistes de Reynaldo Hahn. Le spectateur est ainsi immédiatement plongé dans l’univers feutré des salons parisiens, au risque toutefois d’être brusqué dans ce plongeon. Les piani, sublimes, de ce début sont comme une entrée sur la pointe des pieds, dont on pourrait croire que c’est par timidité. La soprano commence à sautiller pour la troisième mélodie Quand je fus pris au Pavillon. Un démarrage peut-être un peu rapide, révélant une légère perte de concentration très vite retrouvée, notamment grâce à la toujours très attentive Susan Manoff. Spleen d’Erik Satie fait la preuve de l’excellente diction de la chanteuse, mais ne méritait pas autant de présence scénique, bien qu’encore discrète. Pour le Pêcheur de lune de Manuel Rosenthal, Petibon commence à sortir quelques accessoires : un livre pailleté pour réciter ce poème de Marie Roustan et une clochette pour agrémenter subtilement son accompagnement.
Alors que le piano commence Je te veux d’Erik Satie, Patricia Petibon semble s’enfuir de scène, laissant seule Susan Manoff qui joue la surprise, tout en continuant sur son clavier. C’est l'une des occasions d’apprécier la complicité entre les deux artistes. Le touché de son accompagnatrice est soigné, expressif et toujours très à l’écoute de la voix. Cette parfaite entente se voit, se partage... et s'entend.
Quand Patricia Petibon réapparaît, littéralement sonnée par sa pianiste, sa présence est toute différente : elle cède au jeu comique et sa voix semble plus assurée, comme décomplexée. Charmeuse et amoureuse, elle joue avec quelques chanceux spectateurs à qui elle envoie un coussin en forme de cœur, qu’elle réclame ensuite par un coup de sonnette – une diva ne se doit-elle pas d’être un rien capricieuse ? Le public commence à se distraire, car suivent deux des amusantes « Chansons du Monsieur Bleu » de Manuel Rosenthal : les deux musiciennes imitent à merveille les aboiements – Fido, fido – et la mini-trompe sied à ravir à Susan Manoff pour L’Eléphant du jardin des plantes. La soprano profite des courtes Courses d’Erik Satie pour chercher derrière le piano un élégant petit chapeau rose pour deux mélodies de Francis Poulenc, Voyage à Paris et Hier. On peut y apprécier la simplicité du chant, parfois un peu couvert par le piano – ce sera l’unique fois –, et discuter certains glissandi sans doute justifiés par le jeu des personnages. La soprano redevient une amoureuse sage, pour finir cette première partie avec de jolis contrastes et gestions de silences dans Les chemins de l’amour de Francis Poulenc.
Patricia Petibon (© Bernard Martinez)
Comme pour la première partie, Patricia Petibon débute avec beaucoup de douceur, par un très joli A vida dos arreiros de Henri Collet, où l’on peut apprécier des pianissimi dénués de tout vibrato superflu et d’un soutien du souffle d’une grande maîtrise. Elle prouve ces mêmes qualités vocales avec El vito de Fernando Obradors, un peu plus énergique, et Asturiana de Manuel De Falla où, assise sur un tabouret comme narrant un conte, le public très attentif est à ses pieds. La mélancolie et la finesse de La delaïssado de Joseph Canteloube sont incarnées ; ou plutôt devrions-nous dire que cette mélodie est désincarnée : le manque de contrastes, cette fois-ci, était peut-être un rien exagéré.
Il suffit d’une sortie de scène et d’un retour immédiat pour perdre un peu de sérieux et gagner en « poésie clownesque » : alors que Susan Manoff interprète avec élégance le drôle Sur un vaisseau d’Erik Satie – bien que portant des lunettes géantes –, Patricia Petibon profite de ce temps pour de gentilles pitreries, mettant un nez rouge et soufflant quelques bulles de savon sur le public. Aucune des deux musiciennes ne se prend au sérieux, et les spectateurs y trouvent un réel plaisir, n’hésitant absolument pas à rire. On s’amuse même à admirer quelques échanges d’une balle de ping pong imaginaire. Autre facette, inhabituelle peut-être, de la soprano colorature est cette facilité à changer le timbre de sa voix pour interpréter le texte de La statue de bronze ou deux personnages (une mère et son enfant, sans doute) dans Daphénéo. Une fois encore, les deux artistes quittent la scène pour revenir coiffées d'une toque, revêtues d’un tablier de cuisine et portant quelques accessoires dans une marmite. Evidemment, « La Bonne Cuisine » de Leonard Bernstein ne doit pas se prendre au sérieux, tout en respectant rigoureusement la partition toutefois. Et Patricia Petibon ne peut s’empêcher de jouer avec son public, jetant par exemple aux premiers rangs une corde figurant la queue du bœuf ou un poulet grillé (en plastique bien sûr !) en leur criant « Bon appétit ! ». La chanteuse lyrique ose même caricaturer les chanteuses pop ou jazz lors des dernières notes des chansons du compositeur américain, qui, encore une fois, amusent tout le monde. Comme après tout jeu, un retour au calme est prévu, grâce à la belle interprétation du Prélude n°2 de George Gershwin par Susan Manoff. Patricia Petibon finit son récital plus sérieusement avec Granada d’Augustin Lara. Enfin, pour bis, elle chante une berceuse espagnole « pour aller se coucher », ce qu’elle finit par faire réellement sur scène, tout en chantant.
Plus qu’un simple récital, les talentueuses Patricia Petibon et Susan Manoff nous offrent un spectacle rempli de sincérité et d’authenticité, loin des académismes apparents de la mélodie française et des chansons espagnoles.
Vous pourrez entendre Patricia Petibon aux côtés de Jean-Sébastien Bou dans Pelléas et Mélisande de Debussy au Théâtre des Champs-Élysées en mai prochain : vos places vous attendent ici !