Hiver lyrique au Musée d’Orsay
Ces Promenades donnent l’occasion aux talents émergents, lauréats de l’Académie Orsay-Royaumont, de se produire parmi les collections du Musée, permettant à ces jeunes artistes prometteurs de s’exercer à l’art de la mélodie et du Lied (essentiellement le second lors de cette édition, puisque Franz Schubert, Hugo Wolf et Richard Strauss composent à eux trois la quasi-totalité des programmes interprétés par les huit musiciens). Les morceaux ainsi proposés aux visiteurs du Musée entrent en résonance avec les œuvres d’art exposées, chaque duo choisissant des pièces entretenant des liens thématiques avec un tableau des collections d’Orsay.
L’auditeur-visiteur retrouve ainsi la soprano Sheva Tehoval et le pianiste Johan Barnoin dans la salle 6, consacrée à Gustave Courbet, en vis-à-vis du tableau La Mer orageuse. Les musiciens interprètent une sélection de Lieder évoquant le voyage, et surtout celui qui mène à travers des flots en fureur. La jeune soprano belge possède une voix lumineuse et souple, déployant les couleurs dans son medium grave, avec des aigus tintants et précis. Son accompagnateur se montre au diapason de son interprétation engagée et délicate, son jeu demeurant fluide à travers l’impétuosité des morceaux interprétés.
De l’autre côté du « hall central » de l’ancienne gare, la soprano Cyrielle Ndjiki Nya et la pianiste Kaoli Ono ont choisi une œuvre de Gustave Doré, L'Énigme, représentant une étrange scène de désolation où surplombent un Sphinx et un ange éploré. Leurs œuvres choisies évoquent de fait cette atmosphère sombre et mystérieuse comme Memnon de Schubert, ou bien semblent chercher une forme de renouveau après le carnage, comme Morgen de Richard Strauss. La soprano française témoigne déjà de l’aisance dans son art, faisant retentir une voix riche et veloutée, avec des graves que ne renierait pas plus d’une mezzo. La voix conserve sa densité en s’élevant dans les aigus, puissants tout en s’accommodant avec l’intimité du lieu et du répertoire, servi par le jeu de Kaoli Ono dont la finesse retranscrit l’atmosphère mystérieuse et menaçante des œuvres.
Le baryton Dan D’Souza et le pianiste Dylan Perez ont quant à eux choisi une ambiance plus lumineuse et primesautière, avec la Femme à l’ombrelle de Claude Monet, qui sert de pendant à une sélection extraite des Mörike Lieder d’Hugo Wolf, exprimant les émois du sentiment amoureux et de l’harmonie avec la nature, tels que Im Frühling (Au printemps) ou Lied vom Winde (le Chant du vent). Soutenu par l’accompagnement enlevé et habité de Dylan Perez, le baryton anglo-irlandais offre une interprétation élégante de ces œuvres, avec un phrasé précis et une ligne vocale bien tenue. Sa voix claironnante et assurée montre de belles promesses, d’autant que les tessitures graves ont tendance à prendre leur plein éclat dans la maturité.
Quant au baryton-basse Adrien Fournaison et à la pianiste Natallia Yeliseyeva, c’est le Paysage de neige du peintre suisse Cuno Amiet qui les a inspirés à faire un petit bout du fameux Voyage d’Hiver de Schubert. Tandis que la voix se fait chaude et caressante, avec des graves soyeux, la pianiste semble exprimer le tourment hivernal, avec un jeu percussif parfaitement maîtrisé qui fournit un beau contraste avec l’interprétation du chanteur. Le duo est le seul à avoir fait le choix d’aller au-delà du répertoire germanique, puisque leur concert s’achève par une chanson de Gustav Holst, The Heart Worships.
Au vu de la nature assez particulière de l’évènement, le public a des réactions assez variées, puisque la plupart des gens présents au Musée le sont pour visiter les collections. Toutefois, certains visages se retrouvent d’une scène éphémère à une autre, ce qui laisse espérer que leur présence à Orsay ce jour-là n’est pas qu’un heureux hasard, ou en tout cas qu’une fois informés de l’évènement, ces derniers ont choisi d’en profiter pleinement. Mieux encore, si les touristes passent souvent leur chemin, ils sont également nombreux à opter de demeurer avec les artistes jusqu’au terme du mini-concert, ce qui signifie que, pour un quart d’heure (ou quatre) du moins, un public qui n’a peut-être pas pour habitude d’aller à l’opéra aura assisté à un concert d’art lyrique. D'après des bribes de conversations qui parviennent aux oreilles comme autant de "Brèves de concerts", l’expérience aura engendré la curiosité de certains, qui, après le concert de Dan D’Souza, se demandent quelle sensation physique cela fait « de chanter comme ça » (réponse également proposée : « Ça doit être agréable »).
Jeudi 23 février : #PromenadeMusicale d'automne avec l'académie Orsay/@royaumont. Profitez du tarif nocturne de 10, visitez collections et laissez-vous émerveiller par les chanteurs et pianistes qui se produisent dans les salles du musée. https://t.co/llBGseinVH pic.twitter.com/TpnuhP67tz
— Musée d'Orsay (@MuseeOrsay) 19 février 2023