Débuts de Benjamin Bernheim à l’Opéra National du Rhin en récital
La savante architecture du programme est composée de Lieder allemands pour la première partie puis de mélodies françaises pour la deuxième, opérant un glissement chronologique qui fait aller du romantisme allemand au postromantisme français. Chacune des deux parties démarre avec un petit groupe de trois ou quatre pièces, bouquet Brahmsien pour commencer, trois des plus belles mélodies de Duparc après l’entracte. Elles s’achèvent ensuite toutes deux sur un cycle plus conséquent, les Dichterliebe (Les Amours du poète) de Schumann pour la partie allemande, le Poème de l’amour et de la mer de Chausson pour la partie française. Un bis allemand, Morgen de Richard Strauss, puis un bis français, « Pourquoi me réveiller » extrait du Werther de Massenet, ponctuent en fin de soirée un programme tiré au cordeau et de toute évidence mûrement réfléchi.
Que le ténor de culture francophone chante en allemand ou en français, sa diction reste un modèle du genre. À la clarté, à la transparence et au raffinement de l’élocution, répond l’élégance du legato. Les phrasés sont conduits avec goût, à la limite du précieux. Cela ne nuit en rien à la partie allemande, bien au contraire. L’égalité des registres est tout autant remarquée, davantage dans la conduite de la voix mixte que dans l’émission d’aigus forte qui occasionnent parfois une certaine tension. De fait, ce sont les pages exhalant les tendresses du sentiment amoureux qui allient le lyrique au grain fragile et délicat, malmené dès lors que s’expriment les élans de la passion. Mais cela exprime fort bien en bis les souffrances du jeune Werther, personnage poussé à bout dans ses ultimes retranchements. Plus qu’un producteur de beaux sons, Benjamin Bernheim n’en demeure pas moins et avant tout un diseur (a fortiori sans partition dans la partie française), ce qui lui permet de faire passer l'intensité de la scène lyrique (les mélodies Duparc deviennent une scène de théâtre) dans le monde intime et feutré d’un salon comme ici. Benjamin Bernheim sait aussi faire passer les nuances au prisme de ses couleurs vocales, alliant soleil vocal avec aussi une pointe d’humour et d'ironie (des composantes aussi du cycle de Schumann sur les poèmes de Heine).
La pianiste Sarah Tysman, appelée en remplacement de Carrie-Ann Matheson, sait elle aussi les vertus des phrasés lents et langoureux, tout particulièrement pour conclure le cycle Dichterliebe, ainsi que l’introduction de Morgen. Elle n’en a pas moins la virtuosité nécessaire à une page comme L’Invitation au voyage. Et si la rutilance du Poème de l’amour et de la mer a du mal à se déployer, c’est aussi dû à la difficulté de ce faire pour la version avec piano (par rapport à la version orchestrale) et après quelques jours de répétition-familiarisation.
Cette soirée qui confirme la polyvalence et les affinités du ténor d’opéra pour l’univers délicat et intimiste du récital chant-piano résonne avec le public strasbourgeois, lui aussi imprégné de biculturalisme, et qui réserve le meilleur accueil aux deux artistes.