Le Chœur accentus fête ses 30 ans
Abécédaire de l'art choral
Bien entendu, le nom même d’accentus définit cet ensemble : il n’a pas été choisi au hasard, ou en tout cas, le destin a assurément bien fait les choses : « Pour le nom, nous confie ainsi Laurence Equilbey, je suis tombée sur un glossaire de La Pléiade, dont le premier mot était “accentus”, une technique de composition en chant grégorien qui impose de faire monter la mélodie lorsqu’il y a un accent tonique. J’ai trouvé ce mot intéressant car il évoquait un retour aux sources par le latin (beaucoup d’œuvres chorales ont été composées en latin) mais aussi une modernité par l’idée d’accent. Dans notre communication, nous mettons peu de majuscules, c’est pourquoi nous n’en mettons pas non plus à ce nom, mais cela reste un peu libre. Sans la majuscule, cela apporte un minimalisme qui me plait. »
En 2017, accentus publiait une vidéo Prequel revenant sur leur quart de siècle
Les débuts pionniers d’accentus
« La création d’accentus est liée à mes études en direction d’orchestre et direction de chœur qui m’ont conduite à Vienne pendant deux ans, se remémore sa fondatrice. Pour gagner ma vie, j’y ai intégré l’Arnold Schoenberg Chor, un chœur d’étudiants. J’ai pu y travailler avec Nikolaus Harnoncourt et sous la direction de Claudio Abbado qui était alors Directeur musical de l’Opéra d'État de Vienne, et nous avions beaucoup de collaborations avec le Chœur de la Radio. J’y ai découvert tout un pan du répertoire a cappella : des grandes pièces de Schoenberg, Strauss ou Poulenc. En rentrant de Vienne en 1990, j’ai réuni quelques copains de la Sorbonne pour chanter ce répertoire. Accentus est né deux ans plus tard, en 1992 (nous avons préféré, en raison du Covid, attendre un peu pour célébrer cette année les trente ans d’une manière pleinement festive). Olivier Mantei [futur Directeur de l’Opéra Comique puis de la Philharmonie de Paris] en a été le premier administrateur. Nous avons rapidement décidé de professionnaliser le groupe parce que le répertoire l’exigeait. Ce fut une évolution compliquée car il n’y avait pas tellement en France l’habitude de payer des chœurs. L’État a commencé à abonder de manière assez modeste d’abord, et surtout, la Fondation France Télécom (devenue Fondation Orange) a eu une grande importance dans l’émergence de chœurs professionnels. La Fondation Société Générale a ensuite pris le relais, suivie par la Fondation Bettencourt Schueller qui est devenue la plus importante pour l’art vocal aujourd’hui. Un peu plus tard d’autres partenaires publics nous ont soutenus, tels la Ville de Paris, les Régions Île-de-France et de Normandie. »
Premières résidences
Très rapidement après sa fondation il y a trente ans, le Chœur accentus s’est construit à la fois crescendo et par des moments marquants, comme autant d’accents toniques sur une partition que déroule et annote Laurence Equilbey : « La première grande étape a été la professionnalisation, en 1994. Nous étions alors dans le quartier de la Grande Bibliothèque et étions vraiment spécialisés sur le répertoire a cappella. Nous avions déjà initié en 1993 un compagnonnage avec la Cité de la musique, dont nous fêterons donc les 30 ans mi-mars : Brigitte Marger nous a invités à la Cité de la Musique, puis Laurent Bayle nous a vraiment appuyés pendant toute sa direction, y compris à la Salle Pleyel et à la Philharmonie, et je pense qu’Olivier Mantei, qui lui succède, va continuer dans ce sens car je sais que l’art vocal lui importe. »
Pour ses 30 ans, accentus donne un grand programme anniversaire à la Philharmonie de Paris ce 16 mars, puis le 18 à La Seine Musicale, après l’avoir proposé dès les 12 et 15 mars au Printemps des arts de Monte-Carlo et à l’Arsenal de Metz
« En 1998, nous avons déménagé rue de Chabrol, où nous avions notre propre salle de répétition. Alors que le Théâtre des Arts rouvrait, nous avons débuté notre résidence à l’Opéra de Rouen-Normandie grâce à Laurent Langlois, ce qui nous a permis de nous développer dans l’opéra et l’oratorio. Nous avons consolidé ce partenariat avec les deux derniers directeurs, Frédéric Roels puis Loïc Lachenal : nous travaillons avec beaucoup de chanteurs qui habitent en Normandie et à Rouen. L’idée est d’avoir la moitié des chanteurs venant d’accentus afin d’assurer l’identité sonore de l’ensemble, l’autre moitié étant des chanteurs locaux.
Chœur a cappella & d’opéra
Plus tard, nous avons développé un compagnonnage avec l’Opéra Comique, avec lequel nous avons beaucoup travaillé ces 10 dernières années. Faire de l’opéra a été un choix important (même si tous les chanteurs fondateurs n’étaient pas convaincus). »
C’est précisément à ce moment et à cet endroit qu’est intervenu Christophe Grapperon, dont la professionnalisation se confond avec celle d’accentus, remonte à ses racines a cappella et qu’il accompagne ensuite sur ce chemin lyrique comme il nous le raconte : « J'ai découvert accentus il y a 30 ans, alors que j'étais encore étudiant et commençais à peine à vouloir être musicien. J'ai grandi comme jeune chanteur et jeune chef avec le modèle et l'exemple unique qu'était déjà accentus. Je me souviens très bien de quelques moments de répétitions au CRR [Conservatoire à Rayonnement Régional] de Paris, auxquels nous avions pu assister. C'était du Brahms a cappella et j'ai gardé depuis avec moi ce souvenir et cette manière qu'a Laurence de parler à l'intelligence des chanteurs : qu'en travaillant, par exemple la justesse, elle offre une véritable analyse harmonique (non seulement technique mais forgeant déjà ses choix d'interprétation et un univers commun). De sorte que chacun sait exactement dans quel accord et contexte harmonique il se place. Cela m'a déjà beaucoup construit. Mon contact avec accentus s'est ensuite bâti de proche en proche : en tant que chanteur, plusieurs de mes camarades y chantaient mais je n'ai jamais osé passer l'audition. Je n'ai donc jamais chanté à accentus. Des années plus tard, en 2010, Loïc Lachenal (alors Délégué artistique, aujourd'hui et depuis 2017 Directeur de l'Opéra Rouen-Normandie) m’a contacté et cette même année, Mignon d'Ambroise Thomas à l'Opéra Comique a été ma première production avec accentus. Le contact se développant, je suis devenu en 2013 chef associé (je fête donc également un anniversaire de 10 ans, dans le cadre des 30 ans d'accentus). Alors, accentus (soutenu en cela par l'administrateur Nicolas Droin) décide d'opérer une "petite" mutation pour devenir également chœur lyrique, en gardant bien évidemment sa spécificité de chœur a cappella, d'oratorio et de création contemporaine (pour lesquels accentus a particulièrement œuvré, et plus généralement pour que la pratique chorale devienne une dimension importante de notre univers culturel).
Ce nouveau gène incorporé dans la carte originelle du chœur est une expérience passionnante dont j'ai la chance d'être le témoin : cette case lyrique en plus a posé une grande question dont la réponse a reposé sur l'identité d'accentus. C’est un travail toujours en mouvement, en action. J’ai la chance de travailler avec accentus (et Insula Orchestra) sur ces différents domaines -a cappella et opéra-, dans les différents répertoires, et plus qu’une “double spécificité” j’ai tendance à y voire un continuum qui permet d’apporter tout le savoir-faire d’un genre à l’autre (par exemple le lyrisme dans l’a cappella et la disposition d’écoute pour la présence scénique dans l’opéra). Bien entendu, le travail, le placement vocal et l’émission ne sont pas les mêmes, et de fait les effectifs sont configurés avec différents chanteurs d’accentus selon les projets : toujours pour s’accorder pleinement.
Mes fonctions de chef associé sont celles d'un compagnonnage fidèle : des préparations aux productions (ce qui m'amène à vraiment fréquenter les chanteurs et à bien connaître les équipes administratives), je suis consulté pour les distributions et nous élaborons quelques programmes a cappella. L'autre pan dans lequel je m'investis est celui de l'action culturelle (là encore nous apportons du continuum). Tout doit être artistique dans nos actions, cela fait partie de nos métiers de ne pas dissocier entre elles les “contingences” que sont des données d’organisation, de la prestation artistique, le travail de répétition, de représentation et de médiation : par exemple il ne s’agit pas en médiation d’enseigner notre érudition mais de partager notre culture chorale. Le travail du chœur et la médiation se nourrissent et s’alimentent ainsi. Aller voir des collégiens est aussi une manière de travailler la justesse entre nous, de faire le lien entre technique et expression. Bien entendu chaque élément et chaque action est spécifique mais elles doivent toutes être reliées (comme les voix dans le chœur). »
Grands Projets
Si tout ce continuum peut se déployer, c’est sur le développement d’accentus, son histoire qui se poursuit et que continue de nous présenter Laurence Equilbey, avec de grands projets, des enregistrements, des manifestations, des objets musicaux connectés avant l’heure : « Nous avons rapidement développé une activité discographique assez importante : notre disque Poulenc sacré (1997) est devenu une interprétation de référence. Nous sommes également fiers de nos trois albums monographiques (Dusapin en 2000, Manoury en 2011, Mantovani en 2015). Nous avons même redonné au Festival de Salzbourg toute l’œuvre a cappella (et assimilé) de Dusapin.
En 2003, nous avons créé une biennale d’art vocal avec la Cité de la musique. Puis, en 2004, nous avons créé un programme européen qui s’appelle tenso, permettant de mettre les chœurs professionnels en réseau et qu’ils puissent construire des projets ou des commandes ensemble. Enfin, nous avons beaucoup nourri notre projet éducatif entre 2000 et 2010.
En 2007, nous avons développé avec des ingénieurs un diapason électronique, le e-tuner, afin de faciliter notamment l’interprétation des œuvres contemporaines en permettant de travailler précisément le quart de ton, d’avoir une prise de notes facilitée, de sortir du système tempéré, etc. Cet e-tuner va devenir une application pour smartphone et sera disponible gratuitement pour tous. »
Le Chœur accentus se place ainsi en cela comme un ensemble de répertoire et de son temps : « D’un point de vue artistique, il y a eu des créations contemporaines : nous avons construit la technicité d’accentus, mais aussi un répertoire, à la fois patrimonial et contemporain. Nous avons ainsi enregistré des disques à l’Arsenal de Metz, comme une intégrale Pascal Dusapin. Nous avons d’ailleurs collaboré avec le Festival Présences [Festival de Musique contemporaine à Radio France] qui était alors très porté sur le chœur. Nous souhaitons faire un album monographique de Sivan Eldar : après trois monographies masculines, il est temps d’en consacrer une à une compositrice. »
Or, c'est justement grâce à leurs albums dédiés à Philippe Manoury, Pascal Dusapin et Bruno Mantovani que Sivan Eldar nous dit avoir découvert pour la première fois le travail d'accentus. La rencontre s'est ensuite faite pour et par l'œuvre After Arethusa (Après ou D'Après la nymphe grecque Aréthuse), commande passée à Sivan Eldar par accentus et l'Opéra de Montpellier puis créée à la Biennale de Venise en 2021. Sivan Eldar et la librettiste Cordelia Lynn travaillaient alors sur les Métamorphoses d'Ovide (ce qui donnera également lieu à la création de leur opéra Like Flesh en 2022). La librettiste, comme nous le raconte la compositrice, avait alors écrit « trois courtes scènes - trois chœurs - où elle racontait trois épisodes des Métamorphoses d'Ovide. Elle les a imaginées comme des paraboles qui refléteraient l'histoire principale. Cela lui a donné l'idée du texte de la commande d'accentus. Ce mythe d'Ovide, poursuit Sivan Eldar, nous raconte comment la nymphe Aréthuse est devenue eau : échappant au viol, elle s'est dissoute dans un ruisseau, disparaissant pour réapparaître à travers terre en fontaine sacrée. Dans After Arethusa, Cordelia réimagine le moment de la transformation, jouant sur les notions de fluidité et de liquidité pour créer une description sensuelle de l'amour physique : subvertissant le violent par le consensuel.
Accentus est un chœur qui n'est pas seulement habitué à interpréter la musique de compositeurs vivants, mais à collaborer avec eux au fil du temps. Ils ont posé des questions sur le texte, ils ont partagé leurs impressions et leurs observations, avec une réelle curiosité artistique. Accentus est composé de chanteurs qui peuvent passer facilement d'un chant plus soliste à un chant plus choral, et je m'en suis servi dans la mise en musique du texte. Dans la première partie de la composition, le chœur médite sur l'état d'Aréthuse. Ils forment un corps harmonique, mais leurs micro-mouvements sont individuels. Dans la deuxième partie, des solistes émergent de chaque section, racontant l'histoire d'Aréthuse. Dans la troisième, le texte principal de Cordelia émerge avec l'histoire racontée par la voix d'Aréthuse en personne - une voix soliste - avec le chœur en contrepoint. »
Et une prochaine commande-création est déjà engagée entre accentus et Sivan Eldar qui nous en dévoile quelques éléments : "La prochaine commande est une toute nouvelle collaboration, très excitante, entre accentus, Ganavya Doraiswamy et moi-même. Ganavya est une chanteuse, improvisatrice et écrivaine issue du monde de la musique carnatique et du jazz. Elle collaborera avec accentus en tant que soliste et librettiste. Simultanément, Ganavya et moi travaillons sur un nouvel opéra avec le metteur en scène Peter Sellars pour 2025. Les deux projets se nourrissent déjà mutuellement, de la même manière qu'After Arethusa et Like Flesh l'ont fait il y a deux ans. J'adore travailler ainsi. »
Bâtir pour transmettre
Au service de la modernité des répertoires (pour des œuvres passées, récentes ou bien même futures), le Chœur accentus se fait ainsi bâtisseur, de projets, et même de "cathédrale" à en croire Christophe Grapperon qui contribue à cimenter le lien entre les réalisations accomplies et les grands chantiers : « Même si ce n’est pas dans l'ère du temps, je crois qu'un ensemble tel qu'accentus est un "monument" dans le monde culturel choral (et musical et tout court), tout comme une Cathédrale est un monument cultuel et un monument tout court. Accentus fait partie de ces ensembles qui ont fait l'histoire, qui font l'histoire et la provoque. Accentus a marqué la possibilité de faire la musique d’une autre façon. Il y avait déjà de fortes alternatives entre le Chœur de l’Opéra et celui de la Radio mais accentus apporte encore une autre dimension dans la vocalité, la conception d’ensemble (le collectif), le rapport à l’œuvre : c’est un pionnier qui ouvre une porte dans laquelle d’autres ensembles ont pu s'engouffrer pour élargir les horizons. Et dans ce travail, accentus ne perd aucunement son énergie, il reste combatif. »
En effet, les constructions du projet accentus ne s’arrêtent pas là, elles se matérialisent dans des murs et des cursus, comme le retrace Laurence Equilbey : « Nous avons fondé en 2017, grâce à la Fondation Bettencourt et à l’État, un centre de ressources qui s’appelle le CEN, qui abrite des ressources apportées par différents ensembles. C’est aussi à cette époque qu’a eu lieu la création du département supérieur au CRR de Paris qui forme de jeunes chanteurs entre 16 et 25 ans : c’est un jalon qui manquait dans l’éducation des chanteurs en France. Il est devenu un très gros département avec 12 disciplines, une trentaine de professeurs et 50 étudiants par promotion. Les études peuvent y durer entre 3 et 6 ans selon l’âge auquel vous y entrez. Accentus a créé et soutient toujours ce département, notamment pour la mise en situation et l’insertion professionnelle.
Pour cela, j’ai convaincu les tutelles publiques, notamment la ville de Paris et la région Île-de-France, que nous devons partager les ressources que nous produisons en tant qu’organisme subventionné. J’avais 20 ans de ressources à partager. Le CEN s’adresse à toute la communauté chorale et a un retentissement très important, auprès des chanteurs francophones comme non-francophones. Juridiquement, il dépend de Erda, la structure juridique qui gère à la fois accentus et Insula Orchestra, mais beaucoup d’autres ensembles abondent à ce centre de ressources qui est maintenant une plateforme partagée, en lien avec de nombreuses médiathèques, dont la médiathèque de la Philharmonie de Paris. Il fait appel à des musicologues et des éditorialistes. Nous travaillons d’ailleurs avec Insula Orchestra à la création d’une plateforme de ressources européenne dédiée à la pratique historiquement informée : les pionniers, fondateurs des orchestres associés, approchent de la fin de leur carrière et ont des trésors à partager. Il ne s’agit pas tant de partitions que de matériels qui les ont aidés à parfaire leur interprétation.
Rapidement, en 2018, nous sommes devenus Centre d’art vocal, positionné sur Paris, l’Île-de-France et la Normandie, dans le cadre d’un programme national que j’ai pu construire avec Françoise Nyssen. Cela nous a apporté une manne de l’État supplémentaire et a permis d’obtenir un effet de levier avec des régions et des départements. Il soutient la diffusion a cappella (avec notre chef associé Christophe Grapperon et des chefs invités comme Sigvards Kļava ou Marcus Creed), le projet éducatif (notre projet dépasse la simple Éducation Artistique et Culturelle pour investir la transmission auprès d’étudiants et des grands amateurs, et l’inclusion de publics éloignés de la culture, jusqu’aux migrants et primo-arrivants) et permettre le partage des ressources, via le CEN, donc. »
Ce travail est particulièrement important et précieux car la musique chorale est moins développée en France que dans certains autres pays (notamment ceux où Laurence Equilbey a pu se former). Elle a donc besoin d’être portée à tous les échelons : en passant par la formation des interprètes, mais depuis et jusqu’à la sensibilisation du public. « La diffusion des œuvres chorales a cappella est difficile car elle attire en général entre 400 et 500 personnes, ce qui est trop peu pour des salles de 1.000 places, bien que ce soit beaucoup pour le genre. Par ailleurs, les plateaux sont assez chers car il y a souvent 40 chanteurs. »
Productions marquantes
« Dans le répertoire a cappella, il y a les grandes œuvres de Strauss que nous avons enregistrées : pour les chœurs, c’est une forme d’Annapurna. Deutsche Motette dure 20 minutes, ce qui est assez original dans ce répertoire qui comprend beaucoup d’œuvres de quelques minutes seulement. Cette durée rapproche l’œuvre du geste symphonique.
Le chœur a été assez bouleversé par la Liturgie de saint Jean Chrysostome de Sergueï Rachmaninov, avec Sigvards Kļava. Nous avons aussi fait une grande création de Kaija Saariaho avec Marcus Creed, qui fera bientôt une autre création, de Sivan Eldar cette fois. Nous avons aussi collaboré avec Pierre Boulez, ce qui a marqué la première génération de chanteurs de l’ensemble. Nous avons chanté son œuvre, mais aussi des œuvres assez costaudes sous sa direction, notamment avec l’Orchestre de Paris et l’Ensemble intercontemporain.
Côté lyrique, La Nonne sanglante de Gounod à l’Opéra Comique est une production marquante parce que c’est une rareté et surtout qu’il s’agit d’une œuvre formidable, en particulier pour le chœur. À Rouen, Le Freischütz a donné lieu à une tournée européenne incroyable. Il s’agit là encore d’un ouvrage difficile pour le chœur. Plus récemment, Fidelio nous a permis de chanter le chœur mythique des prisonniers. »
« Insula Orchestra [orchestre sur instruments d’époque, également fondé par Laurence Equilbey, en 2012 et qui est installé depuis 2017 à La Seine Musicale] est un partenaire naturel, mais chacun garde son indépendance. Nous essayons d’avoir deux ou trois projets ensemble par an. Tandis qu’accentus est positionné sur la zone Paris, Île-de-France, Normandie, Insula Orchestra est sur le département des Hauts-de-Seine, l’Île-de-France et l’international et a beaucoup de projets symphoniques purs. Bien sûr, nous essayons de faire en sorte que les oratorios se fassent avec accentus.
Avec Insula Orchestra, nous avons commencé à faire des créations scéniques, comme La Création de Haydn avec La Fura Dels Baus, que nous avons notamment jouée à New York. Dans cet esprit, nous allons donner La Nuit des rois de Schumann, les dernières ballades de Schumann pour chœur, orchestre et solistes, qui seront mises en scène par le formidable cinéaste Antonin Baudry. Nous l’avons capté pendant le confinement, mais nous allons maintenant le présenter au public. »
Futur, projets, ambitions et défis
« J’aimerais qu’on crée à Paris une série de concerts permettant de présenter des projets a cappella ambitieux, à la fois sur le plan du patrimoine et de la création contemporaine. Nous cherchons un programmateur qui pourrait inviter dans l’année 10 à 12 chœurs professionnels français et internationaux, afin que le public se refamiliarise avec le grand répertoire a cappella. C’est ce qui peut susciter des passions comme je l’ai vécu en découvrant la Messe en sol de Poulenc lorsque j’étais à Vienne. Si on arrive à créer une série parisienne, on pourra la faire exister ailleurs. Le plateau est difficilement équilibré avec la billetterie, ce serait donc du domaine du service public et de l’intérêt général.
Enfin, il va nous falloir trouver un nouveau partenaire car la Fondation Bettencourt n’a pas vocation à nous financer indéfiniment, et nous savons donc que nous aurons bientôt besoin d’un nouveau partenaire privé. »
Rendez-vous pour le(s) concert(s) des 30 ans
« Nous avions fait un top 10 pour nos 10 ans, un best 20 pour nos 20 ans. Pour les 30 ans, je voulais emporter sur la grande forme, plutôt qu’un pot-pourri. Nous avons choisi Mendelssohn afin d’offrir une vision cohérente, à la fois du sacré et du profane, avec des œuvres grand public. La première partie est donc organisée autour du Christus de Mendelssohn, un oratorio inachevé qui traite à la fois de la naissance et de la passion, qui fait un lien avec la Passion selon Saint Jean que nous avons beaucoup fait. Cela nous permet aussi de faire une cantate chorale qui nous offre un rapport direct au baroque que nous avons exploré. Au milieu du Christus, nous aurons une petite surprise contemporaine dans une sorte de surgissement. Son pendant païen constituera la seconde partie, avec le Walpurgisnacht, une œuvre très virtuose pour l’orchestre et pour le chœur.
Ces œuvres nous permettent de faire venir des solistes vocaux avec lesquels nous sommes en compagnonnage artistique, comme Stanislas de Barbeyrac qui a fait avec nous son premier Max dans Freischütz et son premier Florestan dans Fidelio. Nous aurons aussi Florian Sempey avec qui nous avons fait l’album Magic Mozart dans lequel il était formidable. Hélène Carpentier a fait avec nous le Requiem de Mozart avec le chorégraphe Yoann Bourgeois. Enfin, j’ai dirigé la Walpurgisnacht en Écosse avec Hilary Summers : je l’ai trouvée tellement géniale dans ce petit rôle de vieille sorcière que j’ai voulu la réinviter. »
De quoi jeter un sort pour que l'essor de ce chœur dure encore 30 ans au moins !