Le Mariage secret à La Fenice de Venise
Le rideau s'ouvre sur deux amants recouverts d'un long voile blanc, dans un palais des glaces : les portes au niveau du sol sont autant de miroirs (aux alouettes), celles en hauteurs accueillent des projections rappelant les gravures ayant inspiré cette intrigue mais ici en version roman-feuilleton ou manga, le tout correspondant à ces jeux de dupes et aux complexités de ce livret. Mais si une union secrète est ici le chœur de l'intrigue, les images sont pour le moins explicites (clairement érotiques pour certaines).
Devant et sous ces portes, miroirs et projections, les personnages sont essentiellement statiques, se mouvant pour s'asseoir, les interactions demeurant sporadiques. À l'inverse, c'est la foule nombreuse de pages et de servantes qui entrent et sortent des portes illuminées, mais pour deux scènes seulement, dans une allusion boulevardière aux amants peu vêtus surgissant des placards (rappelant la dimension buffa de cette pièce).
Les costumes traditionnels de la scénographe Marta Crisolini Malatesta sont dans des tons bleus et gris en lien avec l'atmosphère lumineuse demeurant semi-obscure, renforçant certes l'envie de quitter ce palais en huis clos fait d'intrigues.
Les solistes se trouvent ainsi pris entre exubérance fugace et morosité domestique, ainsi que face à la direction d'orchestre qui privilégie un tempo constamment lento, ce qui n'aide pas leur prestation vocale. La fosse, par ce mouvement même, en vient en fait à suivre le plateau, mais au point que les instruments finissent par ressortir d'après le caractère vocal, notamment en écho aux tons particuliers des maîtres et ascendants parmi la galerie de personnages. Les solistes eux-mêmes les entraînent aussi car leurs mouvements corporels finissent par percer l'immobilité scénique voulue, emportés par la dynamique musicale, des plus agiles.
Omar Montanari offre une incarnation du Comte Robinson en jeune homme brillant, élégant et distingué. D'emblée, son timbre sûr et sa tonalité aiguë et claire réveille le plateau et semble même dicter le tempo à l'orchestre. Avec maîtrise, et beaucoup de générosité, il colore son personnage, en s'adressant pleinement à ses partenaires ainsi qu'au public.
Pietro di Bianco joue un bien jeune Signor Geronimo (d'autant qu'il est peu maquillé). La voix de basse reste fidèle à la partition mais ne creuse pas le timbre ou les accents autoritaires (quoiqu'il appuie les ensembles).
La soprano Lucrezia Drei déploie en sa fille cadette Carolina une voix complète : suggestive, claire et efficace assumant des tons dramatiques et une prise de style. Francesca Benitez incarne sa piquante sœur aînée Elisetta, sachant se faire pressante et envieuse jusqu'à changer de ton pour la colère. En duo avec Omar Montanari, elle sait moduler ce ton de colère en séduction, imposant l'intensité de sa ligne vocale puis de ses arias.
Martina Belli est leur tante Fidalma d'une voix et présence solides, amusante et pleine de caractère : une incarnation de femme décidée qui convient bien au rôle. Sa voix accentuée sait aussi se faire cristalline, avec maîtrise dans les passages d'agilité.
Enfin, Juan Francisco Gatell opte en servant Paolino pour une cadence langoureuse et une incarnation discrète. Ce n'est que dans les airs qu'il montre sa voix agile et ses accents.
En cette période de Carnaval, où du public est même masqué dans les loges, et après avoir applaudi ce spectacle, l'assistance retourne poursuivre la fête sur la Piazza San Marco toute proche.