Cole Porter à Paris, à l’Opéra de Massy
Venu d’Outre-Atlantique porter secours à la France lors de la Première Guerre mondiale, Cole Porter se laisse happer par l’énergie débordante du Paris d’après-guerre. La curiosité du compositeur le mène très vite à mêler sa formation à la Schola Cantorum (auguste institution de musique ancienne) avec sa fascination pour les clubs de jazz de Montmartre. Grand amoureux de Paris, l’œuvre et la personnalité de Cole Porter inspirent une étourdissante plongée dans cet univers : une histoire d’amours en près de 29 de ses chansons et d’extraits de sa correspondance, mise en scène par Christophe Mirambeau.
Si le défilé des chansons frôle de justesse le catalogue, le rythme de la scénographie reste toujours dynamique avec des changements d’ambiance un peu rapides mais constamment prenants. La multitude des beaux costumes rappelle la vie et les soirées des années 20 aux années 40. Les décors, également de Casilda Desazars, font échos à ceux abstraits de cette période, notamment des premiers ballets jazz. Les instrumentistes présents sur scène, sur deux estrades rouges en gradins, accompagnent les chanteurs-danseurs qui évoluent sur un long escalier menant jusqu’à une grande plateforme en fond de plateau. Les lumières de Renaud Corler participent à ces différentes ambiances, avec toutefois quelques moments où le personnage acteur reste légèrement dans l’ombre. La sonorisation se montre aussi, au début, parfois un peu surprise, n’allumant le micro d’un chanteur qu’après un très court instant suivant le début de son chant, et l’équilibre orchestral avec les chanteurs se trouve après quelques numéros.
Cole Porter n’est pas entièrement personnifié, si ce n’est un peu par chacun et chacune des artistes, mettant ainsi en exergue l’humanité et l’universalité du compositeur : pour Christophe Mirambeau, il semble que tout le monde pourrait se reconnaître en l’originalité de cette personnalité. Léovanie Raud incarne entre autres des femmes que l’américain a rencontrées et qui, dans les cabarets, l’ont inspiré. La chanteuse, spécialisée dans la comédie musicale, fait entendre un petit grain de timbre dans le registre grave et une aisance particulièrement appréciable dans le chant comme dans la danse, tout en gardant la clarté dans son texte. Elle interprète notamment un agréable duo avec Marion Tassou, "Most Gentlemen Don’t Like Love" (Leave It To Me!). La seconde incarne la plupart du temps la femme de Cole Porter, Linda Lee Thomas, de sa voix de velours et au vibrato caressant. Sa maîtrise des phrasés et l’attention soignée de son texte captive le "Find Me a Primitive Man" (Fifty Million Frenchmen).
Le ténor Richard Delestre allie chant et comédie, avec un texte toujours compréhensible et un timbre bien placé. Le soutien quelquefois mis à mal ne gêne néanmoins pas sa prestation, en duo avec le bassoniste et co-fondateur des Frivolités Parisiennes Benjamin El Arbi "In a Moorish Garden" (La Revue des Ambassadeurs). Le chanteur de comédie musicale Yoni Amar fait part de sensibilité et de clarté de timbre mais son anglais n’est pas des plus limpides.
D’une manière générale, les auditeurs auraient certainement pu apprécier quelques sur-titres dans cette alternance entre chants en anglais (rarement en français) et jeu parlé en français (rarement en anglais), mais le cours de l’histoire se laisse cependant facilement comprendre.
Le plus souvent au piano, Matthieu Michard, qui signe une partie des arrangements et orchestrations des chansons de ce soir, fait entendre quelquefois sa voix, peu timbrée mais non dénuée d’un certain charme, et profite aussi de quelques pas de danse avec ses collègues de scène.
Les danseurs, préparés par Caroline Roëlands, sont aussi chanteurs, préparés pour cela par Jean-Yves Aizic. La diversité de leurs styles va du music-hall au ballet contemporain (dont une incarnation des Ballets Suédois avec l’extrait "Sweetheart" du ballet Within the Quota). Le spectateur repère notamment la jeune et pétillante Guillemette Buffet lors de son intervention dansée et chantée "Go Into Your Dance" (The New Yorkers).
L’Orchestre des Frivolités Parisiennes partage avec entrain cette musique légère, pétillante, toujours plaisante. Bien que sans chef, l'ensemble se montre toujours très réactif, dialoguant aussi en quelques interventions solistes, certains se positionnant alors près des chanteurs sur scène, comme de véritables protagonistes de la vie de Cole Porter.
Enfin, le spectateur n'oubliera assurément pas la très glamour Charlène Duval (personnage forgé par Jean-Philippe Maran), dont la silhouette longiligne rappelle que l’élégance et l’audace des cabarets de la capitale n’ont pas pris une ride depuis les années 30.
C’est avec un final coloré, entrainant et très apprécié du public, "Take Me Back to Manhattan" que se termine le spectacle. Sous l’insistance des spectateurs heureux, l’ensemble des artistes chante un joyeux "Paree, What Did You Do to Me?" avant de dire aurevoir, l’orchestre recevant encore de chaleureux applaudissements en quittant la scène.