Yes ! de Maurice Yvain, ou le retour gravé de l’opérette des Années Folles
Si notre patrimoine de l’opérette du dix-neuvième siècle et de la Belle Époque est dans l’ensemble assez repéré, force est de constater qu'il n'en va pas de même pour la très riche production musicale des années 1920. C’est ainsi que si certains titres de Henri Christiné (1867-1941) – Dédé, Phi-Phi, PLM –, Vincent Scotto (1874-1952) – Un de la Canebière – ou Maurice Yvain (1891-1965) – Ta bouche, Là-Haut, Pas sur la bouche – nous sont vaguement connus, peu de ces petits bijoux sont facilement accessibles au disque aujourd’hui.
Alpha Classics et l’ensemble Les Frivolités Parisiennes viennent ainsi œuvrer en faveur d’un répertoire qui gagne à être redécouvert, à la fois pour son intérêt dans l’histoire du spectacle musical de divertissement, mais également pour ses qualités musicales intrinsèques. Les livrets du lyriciste et parolier Albert Willemetz (1887-1964), contemporain de Sacha Guitry, sont des petits trésors d’esprit et de finesse à la française, écrits à une époque où la liberté des mœurs n’était peut-être pas encore ce qu’elle allait devenir après-guerre, mais où certains tabous, notamment dans les relations hommes-femmes, commençaient à s’effriter très sérieusement. En termes de musique, l’opérette des années 1920 se distingue par son côté swing jazzy à l’américaine, dont l’encanaillement correspond point par point à l’image souriante, insouciante et légère qu’elle cherche à donner de la société d’alors. La frivolité et l’inconscience masquent et exorcisent les réelles angoisses devant les évolutions économiques et politiques à venir. En cela, l’opérette ou comédie en musique Yes ! reste éminemment représentative de son temps.
L’action de Yes ! peut être résumée autour de ce petit mot magique qui déclenche une série de mésaventures toutes plus loufoques les unes que les autres. De manière à ne pas épouser la femme que son père lui a destinée, le jeune Maxime Gavard s’envole pour Londres en compagnie de la compagne de son coiffeur Roger, Totte, laquelle doit prononcer le fameux « Yes » devant le maire chargé de l’unir à Maxime, en principe amoureux de Lucette, l’épouse d’un de ses amis. S’ensuit une cascade d’invraisemblables péripéties, rebondissements et coups de théâtre impliquant une série de personnages tous hauts en couleur, allant du fils à papa Maxime au magnat de la vermicelle, Monsieur Gavard père, en passant par un coiffeur promu vedette de music-hall, un valet de chambre aspirant à être un député communiste, une Chilienne mangeuse d’hommes, une bonne en quête d’emploi devenue journaliste de la presse people ou encore une grisette de Montmartre retrouvée à Londres sous les traits d’une duchesse mariée à un Lord !
L’enregistrement proposé aujourd’hui est un habile compromis entre les trois versions historiques de l’ouvrage, initialement créé pour deux pianos au petit Théâtre des Capucines en 1928, donné ensuite au Théâtre des Variétés dans une version ajoutant aux deux pianos un petit orchestre, puis enfin joué l’année suivante à l’Apollo avec quelques ajouts musicaux et une orchestration prévue pour trente-cinq musiciens. L’ensemble Les Frivolités Parisiennes s’acquitte de cette partition enjouée et endiablée avec clarté, précision et vivacité, privilégiant les rythmes vifs et allants tout en soutenant du mieux possible les chanteurs, l’intelligibilité du texte étant visiblement la priorité absolue de cet enregistrement.
De manière à resserrer l’action pour les besoins du CD, un texte narratif, lu avec panache par Clément Rochefort, a été écrit par Christophe Mirambeau, un des maîtres d’œuvre de cette réalisation. L’équipe réunie pour la réalisation sait globalement s'affirmer, quoique certaines voix auraient pu être davantage lyriques : des chanteuses comme Felicity Lott ou Julie Fuchs ayant toutes deux montré, dans leur interprétation de l’air « Yes ! », tout ce qu’une grande voix d’opéra peut apporter dans l’art de la modulation et du sous-entendu.
En revanche, les voix moins opératiques s'affirment ici souvent en termes d’intelligibilité, même si elles n’ont pas toujours les qualités de timbre souhaitées. Le vibrato appuyé de Sandrine Buendia apporte son caractère au personnage de Totte, quoiqu'un chant plus frais et plus juvénile serait attendu. Idem pour la Lucette de Léovanie Raud, dont le timbre acidulé donne néanmoins au personnage de la maîtresse de Maxime un petit côté Bon Chic Bon Genre tout à fait en accord avec ce que cette figure représente dans la pièce. Aucun souci avec les aigus (voire des stridences) de la Clémentine d’Amélie Tatti, le personnage de la jeune bonne, autrefois chanté par Arletty, n’appelant pas de fraîcheurs particulières.
De même, les trous dans la voix d’Irina de Baghy sont comblés par une manière de croquer ses divers excès et ses outrances. Seule chanteuse à la voix réellement subtile et délicate, la Loulou / Lady Wincheston de Norma Nahoun, dont le petit duo « Ou ou » devrait ravir les auditeurs.
La distribution s'impose davantage du côté des messieurs, à commencer par la clarté et la fraîcheur du baryton Guillaume Durand, à la diction impeccable dans le rôle de Maxime, qu’il sait rendre attachant dans les contradictions qui le lient à son tyran de père. Dans le rôle de César, le valet de Maxime candidat aux législatives, Mathieu Dubroca fait lui aussi valoir un baryton au timbre caressant et à la diction irréprochable. Toujours chez les barytons, le Gavard père de Philippe Brocard est autoritaire et vindicatif à souhait, tandis que Monsieur de Saint-Églefin par Aurélien Gasse est un mari complaisant qui, de sa voix riche et bien timbrée, sait si bien arranger les affaires de son ami Maxime. Le chanteur qui a le plus à faire est sans doute celui chargé du rôle de Roger devenu Régor, ou coiffeur aspirant ténor d’opéra devenu chanteur de music-hall, incarné avec verve et conviction par Sinan Bertrand, jeune artiste spécialisé dans les rôles de Baryton Martin virant vers la tessiture de ténor. À côté d’Olivier Podesta (en Loisel), chanteur-comédien qui lui aussi parvient à croquer un personnage en quelques phrases, plusieurs chanteurs de complément constituent le chœur de ce petit ouvrage enthousiasmant de bout en bout, autant par l’esprit pétillant de son texte que par l’effervescence de sa musique. Une bouffée d’air frais et de bonne humeur à laquelle il n'y a qu'à dire : "Yes !"