Aventures et Nouvelles Aventures : aux limites du réel au Festival Présences
“Ce n’est pas la musique d’un opéra qui est jouée, mais un opéra qui se déroule à l'intérieur de la musique” explique György Ligeti, dont les Aventures et Nouvelles Aventures (manifeste de théâtre instrumental, récemment remis à l'affiche à Genève) donnent leur nom à ce concert. Complémentant ce programme, Photographies à trois de Januibe Tejera traite du cerveau humain et de sa capacité à distinguer la réalité de l’imaginaire. Artur Akshelyan compare pour sa part son œuvre Anthos à l’évolution des cellules vivantes telle l’éclosion d’une fleur. La musique se déploie ainsi ici entre onomatopées, rires et mimes, autour d'un instrumentarium moderne.
Sophia Körber intervient en sa qualité de soprano soliste pour Seven scenes from fairy tales d'Unsuk Chin (compositrice à l'honneur de cette édition du Festival). Démontrant sa souplesse vocale, elle fluctue avec fluidité entre médiums et suraigus. Les nuances et la légèreté de sa voix viennent souligner son timbre cristallin amenant un chant aérien. La parole est parfois mélangée à la musique (avec même un passage sifflé). Anne-Laure Hulin, soprano de même, membre de la Maîtrise de Radio France dès ses 9 ans, communique son caractère de manière comique et légèrement absurde à la manière de ces pièces de Ligeti. Sa ligne vocale n'est point altérée par des contorsions, la voix porte, puissante, et maîtrisée, laissant aussi place aux autres chanteurs et instrumentistes.
La mezzo-soprano Romie Estèves arbore un sourire communicatif qui remplace la compréhension d’un éventuel texte (ici délibérément inintelligible) : toutes ses intentions se lisent sur son visage. Sa voix porte et son timbre feutré vient se confronter à celui de la contrebasse lors d’un échange mouvementé. Igor Bouin, baryton, amuse aussi positivement avec une acuité prononcée pour la transmission d’humeurs : il se met en scène avec des expressions faciales remarquées. Son timbre rond et chaud, ponctué par moment de chuchotements et de rires volontaires, remplit la salle.
Bianca Chillemi jongle aisément entre direction et jeu au piano (disposée en face des musiciens et chanteurs, elle joue alors tout en battant la mesure de l’autre main). En contact permanent entre eux et avec les solistes, les musiciens de l’ensemble MAJA se déplacent par moment sur la scène, en un jeu visuel et de représentation engagé. L’instrumentarium moderne utilise par moment des mégaphones pour les chanteurs et détourne l’utilisation usuelle des instruments présents sur scène tels que le cor, le violon, le violoncelle, la flûte traversière, et surtout les percussions : l'utilisation de celles-ci est surprenante, et des objets tels que des tapis deviennent aussi des objets sonores.
Parfois figés à la fin d’une phrase musicale, laissant en haleine l’auditoire, c’est à croire que les musiciens s’amusent des réactions qu’ils provoquent. Des rires dans la salle viennent briser l’idée d’un opéra sérieux, à se demander même si tout cela était bien réel, et les applaudissements se font avec le sourire aux lèvres, comme si la salle sortait d’un monde imaginaire.
Ce concert sera diffusé le 22 février sur France Musique, à écouter via ce lecteur :