Naples s’invite à La Seine Musicale avec le Stabat Mater de Pergolèse
Le concert démarre ainsi, à lumières allumées, presque par surprise, avec l’intonation a cappella en plain-chant (monodie grégorienne) résonnant depuis le public, d’une version anonyme de cette prière à la « Mère qui se tient debout ». La prière terminée, retentissent les tambourins et les castagnettes : les musiciens se lancent dans une frétillante tarentelle qui vient marquer la procession vers la scène, menés par le chef Vincent Dumestre, guitare baroque à la main, tandis qu’est entonnée une chanson évoquant les souffrances de la Vierge. Une imitation de procession de semaine sainte napolitaine, où se côtoient le profane et le sacré, mise en scène, rappelle que cette prière tire son origine dans les rites populaires.
Le choix du concerto per quartetto n°1 de Francesco Durante, qui fut l’ancien maître de Pergolèse, apparaît également comme une référence aux traditions musicales napolitaines dans lesquelles s’inscrit ce dernier. Deux autres versions de cette prière à la Vierge endeuillée sont entendues avant celle du grand compositeur. La première version suit le Manuscrit de Monopoli, interprété par les trois voix masculines à l’unisson. Dans ce répertoire liturgique, la résonnante voix de basso profundo d’Emmanuel Vistorky revêt des accents sépulcraux, que viennent contrebalancer les ténors clairs et rayonnants d’Hugues Primard et Serge Goubioud.
Enfin, la version du Stabat Mater du Manuscrit d’Ostuni vient présenter les deux solistes féminines qui interprètent l'œuvre de Pergolèse. La soprano Marie Perbost et la mezzo Anaïs Bertrand se font face, chacune d’un côté du premier balcon, illuminées par un projecteur alors que la salle vient tout juste d’être plongée dans la pénombre, avant de descendre sur scène pour l'œuvre principale.
Le contraste entre leurs deux voix vient enrichir leur interprétation de l'œuvre de Pergolèse. Le timbre de Marie Perbost est velouté, avec une émission riche et large et des envolées dans des aigus rayonnants, ainsi que des vocalises pleinement maitrisées qui lui valent les ovations du public à la fin de son aria « Vidit suum dulcem natum ». La voix d’Anaïs Bertrand prend une résonance plaintive, évoquant le son du hautbois, avec une projection plus intime, tout en demeurant parfaitement distincte et à la mesure des dimensions de l’auditorium de La Seine Musicale, le tout avec agilité, notamment sur le final de l’air « Fac ut portem Christi mortem ». Dès le célébrissime duo qui ouvre la pièce, le « Stabat Mater Dolorosa », ces deux voix distinctes semblent complémentaires, comme si la mezzo figurait la douleur de la mère endeuillée tandis que la soprano exprimait la consolation de l’amour divin.
La direction du Poème Harmonique, tout en retenue et délicatesse, laisse pleinement les voix s’épanouir, les lamentations des cordes se faisant l’écho de celles des voix, tandis que les accents mélodieux du théorbe viennent apporter quelques notes de lumière. À la fin du spectacle, après des applaudissements soutenus du public, le spectacle se clôt comme il a débuté, avec une nouvelle tarentelle. Voici de nouveau l'auditoire plongé à Naples un jeudi de semaine sainte, et Vincent Dumestre emmène le cortège hors de scène au son de sa guitare comme il l’y avait invité.