Axelle Saint-Cirel remporte le 5ème Concours Voix des Outre-mer
Dès le Chœur qui ouvre la soirée (celui des esclaves du Nabucco de Verdi, traduit en français et résonnant bien entendu particulièrement dans cette manifestation culturelle des Outre-mer), les quelques voix formées qui rivaliseront pour emporter le grand prix ressortent puissamment de l'ensemble, mais c'est surtout un esprit commun qui ressort : celui fait de grandes diversités de souffles et de couleurs vocales (diversité qui fait la richesse, de cet ensemble et de la France).
Les organisateurs Fabrice di Falco et Julien Leleu se félicitent d'ailleurs que pour la première fois tous les Outre-mer sont représentés (y compris éloignés de la capitale par un trajet de 35 heures). Autre preuve du développement croissant de cette initiative (outre le prestigieux jury), l'Amphithéâtre de la Bastille est plein à craquer. L'organisation est également plus huilée que jamais, la soirée étant à la fois un concert, un gala et une émission télévisée. La prestation de chaque artiste est précédée d'une prestation en vidéo, tel un mini-reportage filmé sur les lieux paradisiaques les ayant vu grandir, puis suivie par une interview en coulisses.
Le Grand Prix de cette 5ème édition est remporté par Axelle Saint-Cirel représentant la Guadeloupe et l'Île-de-France. Depuis sa précédente participation au Concours, elle a pu profiter des fruits de son apprentissage au Conservatoire National Supérieur de Paris et de master-classes et même s'engager dans des projets avec Les Contres Courants (association organisant ce concours) : l'hommage à Christiane Eda-Pierre ainsi que la grande tournée des Contes d'Hoffmann qui en est à ses premières étapes. Elle reprend d'ailleurs ce soir le rôle qu'elle tient dans cette production, celui de la muse Nicklausse avec l'air "Vois sous l'archet frémissant". Sa voix exprime la douce sensualité d'un grave soyeux et chaleureux, soutenant un phrasé toujours ancré mais souplement articulé vers un vibrato déployé en fin de phrase. Le passage entre les registres est maîtrisé, mais le médium-aigu gagnera à être plus nourri et rayonnant pour s'harmoniser avec le reste de la tessiture.
Après avoir vanté la Martinique et ses plats préférés (colombo de poulet avec riz et haricot rouge, puis un flan coco en dessert), Axelle Rascar Moutoussamy interprète l'air très fameux -et souvent présenté à ce concours- "Lascia ch'io pianga". Les débuts de phrase s'installent avec beaucoup de souffle (qui vient à manquer en fins de phrase), le cœur de phrasé vibre et vibrionne. L'alliage de son caractère éploré mais maîtrisé lui valent le Prix Jeune Talent (pour les moins de 21 ans) de cette édition.
Winona Berry représente Saint-Barthélémy où elle a grandi avant de venir en métropole, faire ses études au Conservatoire de Bordeaux (et de découvrir l'Opéra de Paris à 18 ans, lui donnant l'envie de devenir chanteuse d'opéra). Son ample articulation de l'italien dans "Che farò senza Euridice?" s'allie avec son riche timbre et phrasé grave qui ne semble sombre que par contraste avec ses résonances lumineuses dans l'aigu. Quelques débuts de phrases pourront gagner en souplesse, mais elle aura pleinement assumé son choix d'une expressivité plus contenue, sans doute moins à même de la faire briller pour éblouir le jury réunissant lui aussi des spécialistes (de tout premier plan) et des amateurs.
Le ténor Michael Serva (Guadeloupe/Île-de-France) aurait très certainement pu rivaliser pour un prix par la richesse de ses moyens, qui le mènent même à chanter le sommet ténor de Tosca "E lucevan le stelle", mais il en fait hélas une interprétation à contre-sens, hachant tous les phrasés par le déploiement d'une passion intense et nerveuse (en particulier sur les mots "dolci", "languide"). Il explique avoir découvert l'opéra par des vidéos d'Andrea Bocelli avec lequel il partage le placement engorgé, mais dont il parvient pourtant à se défaire en cheminant vers des tenues enfin homogènes.
Les autres prestations du soir montrent bien entendu que leurs interprètes découvrent l'art lyrique à l'occasion de ce Concours, manifestant avec l'enthousiasme des débuts les mêmes défauts bien logiques : notamment beaucoup de souffle dans la voix et une confusion entre vibrato et tremblement, mais en même temps déjà une conscience de la justesse et de l'articulation remarquées.
Si un prix avait été attribué à la performance la plus mignonne, il aurait sans aucun doute été décerné à l'unanimité au (seul) duo de la soirée : Antone Boinali et Lollia Allaoui, cousin et cousine de 7 et 8 ans (les benjamins de toute l'histoire de ce concours), fiers de représenter leur île de Mayotte et marchant fièrement au pas comme les petits soldats de Carmen. Leurs voix dynamiques sont à l'unisson puis se répondent même, bien en place.
Thomas Custodio-Vieira né en Guyane de parents brésiliens met en avant sa pratique du théâtre au conservatoire local, et son attirance pour le chant lyrique "populaire et pour tout le monde" comme il le dit et le montre si bien. Son Masetto s'adresse à tout le public, de chaque côté, son corps alternant souplesse et mouvements de bras un peu secs (à l'image de son chant mais dont les accents le portent néanmoins vers les graves). Il décroche une bourse d'encouragement de la Fondation Orange Antilles Guyane.
La bourse d'encouragement du Pôle Outre-mer de France Télévisions échoit pour sa part à Mikaele Masei de Wallis et Futuna, chantant Amazing Grace en futunien de ses graves vrombissants, intenses et tendus comme un haka (en chef c'est lui qui dirige alors la pianiste).
Ève Tibere (La Réunion) offre une prestation remarquée, mettant à profit sa formation en danse classique indienne pour interpréter la Berceuse de Lakmé, en sari. L'opéra de Delibes dépasse ainsi la couleur exotique pour une dimension véritable, incarnée, les souples mouvements de bras accompagnant les lignes vocales clairement dessinées dans les hauteurs.
Jessie Detcheverry représente Saint-Pierre et Miquelon, et plus particulièrement cette seconde île avec ses 600 habitants (mais qui ont la chance d'avoir parmi eux cette professeure de musique). Elle joue ce soir un Chérubin aussi bien effronté que séducteur, disposant de toutes les notes du grave (son statut d'amateure se traduisant par un souffle court encore tendu dans l'aigu, mais pour marquer et projeter la ligne).
Clara Gustave-dit-Duflo (Guadeloupe) surmonte sa timidité (d'autant plus qu'elle sied à la cavatine "L'ho perduta") grâce à son articulation aussi appliquée que ses gestes accompagnent ses phrasés, avec tendresse et délicatesse.
Marie Canehmez (Nouvelle Calédonie) chante un "Somewhere" vibrant (y compris sur la justesse) entre l'ancrage du souffle et l'allègement de l'aigu.
Enfin, Manaarii Maruhi porte sur lui comme il l'explique les 5 archipels de la Polynésie Française, avec sa tenue et coiffe d'apparat. Il défend le lyrisme de la langue polynésienne et tahitienne, dans son interview et par son chant : il propose Cavalleria Rusticana en tahitien (avec une transposition : incarnant un pêcheur à Noël), l'occasion de rendre hommage à son professeur de chant Gaby Cavallo. Il déploie le lyrisme par la longueur de phrase, montant par une intensité marquée qui pousse le public à lui répondre en intenses échos.
La pianiste Kazuko Iwashima accompagne la soirée avec une si grande précision instrumentale qu'elle atteint un niveau neutre d'interprétation : son jeu métronomique limpide détachant chaque phrase et chaque note assure une parfaite équité pour tous les candidats, une homogénéité et prévisibilité qui sont autant de qualités cardinales pour rassurer ces jeunes voix.
Dans une mise en espace signée Marie-Laure Garnier (vainqueure de la 1ère édition) et accompagnés par Yoann Piazza (tandis que le jury délibère), d'anciens candidats et lauréats du Concours interprètent une suite de morceaux : Les Contes d'Hoffmann, La Flûte enchantée, mais aussi du Demi Lovato, Mariah Carey, Deep river, ... traduisant pour un public en liesse, la richesse des répertoires et des couleurs musicales ultra-marines, et de cette aventure qui s'élance désormais vers une 6ème édition.