Moïse et Pharaon à l'Opéra de Lyon
Le titre-même annonce un choix qui sera aussi celui de la mise en scène. En effet, cette coproduction entre Aix-en-Provence, Lyon et Madrid reprend le titre avec sous-titre d’une traduction française antérieure du Mosè in Egitto de Rossini par Castil-Blaze : Moïse et Pharaon, ou Le passage de la mer rouge, plutôt que le simple Moïse sous lequel il était connu lors de sa création, dans la partition publiée et dans tous les livrets sauf un. ainsi que dans toutes les œuvres dérivées pour clavier qui ont suivi la création. Ce choix de titre annonce ainsi aussi le choix du metteur en scène Tobias Kratzer : celui de juxtaposer Moïse et Pharaon et de construire sa mise en scène sur l'opposition manichéenne entre leurs deux peuples. Le plateau d'emblée divisé au premier acte éloigne d’autant les mondes et les liens, pourtant essentiels, entre ces deux personnages, sur les plans dramaturgiques ainsi que de la psyché. Les Égyptiens sont ici oppresseurs corporatifs des Hébreux opprimés dans des camps d’exilés. Et en plus de cette division, la mise en scène redouble le propos, par des actions, déplacements et même le ballet redoublant les intentions de la musique. La vidéo de Manuel Braun va du papier peint modérément attrayant (pour le ballet) à des captures d’écran de faux sites de rencontre avec le profil de la Princesse Elégyne (joliment interprétée par Laurène Andrieu) emplissant tout le fond de la scène. L’utilisation finale de la vidéo sert à dépeindre des cadres de bureau se noyant dans la mer Rouge, mais pataugeant plutôt dans les bas-fonds.
Michele Pertusi offre son imposante et magistrale présence à Moïse, non seulement par sa taille, et le costume (à la Charlton Heston dans Les Dix Commandements), d’autant plus emblématique qu’il est unique dans cette esthétique sur ce plateau. Son contrôle et sa présence vocale imposent l’autorité, même dans les ensembles et avec le chœur, conservant son registre médian grave et chantant avec un contrôle constant de la ligne (hormis les notes les plus basses). Son phrasé élégant et soutenu peut même nuire aux moments poignants de l’interprétation et de cette mise en scène, d’autant que ses partenaires vocaux peinent à développer une telle croissance de la matière sonore (au profit de la qualité de son).
Alex Esposito donne une lecture fine du rôle de Pharaon, qui exige une voix plus haute mais pas nécessairement plus légère que pour le rôle de Moïse. Le baryton-basse sait ainsi déployer l'autorité sonore que demande son rôle et le duo avec Aménophis, mais il en a aussi l'agilité requise (aussi seyante que la brillance dans le registre supérieur).
Aménophis, le fils de Pharaon (rôle crucial car il rejoint Anaï dans deux des duos clés de l'œuvre) échoit à Ruzil Gatin. Sa voix s’ancre loin dans la gorge, ce qui allonge sa projection mais lui donne un son voilé, presque étranglé et un manque de contrôle au point culminant des phrases.
Mert Süngü incarne avec fierté Eliézer, le frère de Moïse. Son ténor pourrait accentuer l’homogénéité entre ses registres (notamment l’aigu qui s’allège) mais les couleurs sont offertes avec douceur et il sait passer du parlando au pianissimo sans effort.
Edwin Crossley-Mercer tient les rôles de la "voix mystérieuse" et du grand prêtre Osiride avec audace dans le chant au parlé ample, montrant sa puissance vocale dans le registre médium et en écho du chœur. Alessandro Luciano campe le rôle d'Aufide, homme de main du Pharaon, un peu hésitant sur ses émotions mais pas sur sa voix fortement affirmée.
Vasilisa Berzhanskaya donne une interprétation réfléchie de la femme de Pharaon, Sinaïde. Sa voix est soyeuse et douce sur toute la tessiture, avec une maturité de timbre mise en valeur dans l'aria avec chœur, sculptée avec ambition dans la passion. Cette Sinaïde contraste joliment avec l'interprétation d'Ekaterina Bakanova dans le rôle d'Anaï, l'amoureuse d'Aménophis, caractérisée par une brillance agile dans le registre supérieur et une puissance contrôlée dans la partie inférieure de la voix.
La langue française étant largement desservie par le plateau non-francophone, le chant de Géraldine Chauvet est d’autant plus clair et agréable dans le rôle de Marie, la mère d'Anaï. Son mezzo-soprano contrôle le registre inférieur avec habileté et les notes supérieures avec une coloration élégante, réussissant à rehausser l'importance de ce rôle.
L'un des principaux changements apportés par Rossini lorsqu'il remania son Mosè in Egitto de 1818 pour Paris en 1827 fut l’adjonction d'un ballet. Mais en comparaison avec les divertissements plus élaborés des Grands Opéras des années 1830, le ballet consiste ici en trois modestes airs de danse, interprétés plus ou moins intégralement par sept danseurs en costumes quasi-classiques. La chorégraphie de Jeroen Verbruggen exploite les mouvements classiques mais les subvertit en jouant sur les conventions classiques (tels ces portés d'hommes exécutés par des femmes).
L'utilisation massive du chœur (pour employer naguère les ressources de l'Académie Royale de Musique) offre au Chœur de l'Opéra de Lyon une grande prestation, déployée avec confiance et style. L'Orchestre maison assume également, avec élégance et assurance, les numéros instrumentaux à grande échelle de la partition. La direction de Daniele Rustioni offre pourtant des dynamiques mesurées, avec peu de vrais pianissimi et de fortissimi apocalyptiques, d’autant que les tempi restent prudents (au moins en ce soir de première).
Malgré quelques réticences envers l'équipe de production, la représentation et les artistes sont très bien accueillis et rappelés par une salle comble.
Captation intégrale de la production à Aix-en-Provence :