La Périchole ensorcelle l'Odéon de Marseille
Dès le lever du rideau, c’est la fête au Cabaret des Trois Cousines, à Lima. Dans le décor d’Olivier Lepelletier, le rouge est omniprésent : la tenture scintillante du fond de scène, les éclairages et bien sûr les costumes et les accessoires, éventails, boas de plumes. L’humour est également au rendez-vous, les nobles sont déguisés, le Vice-Roi lui-même, surnommé "sœur Emmanuelle” est une religieuse à cornette blanche. Séduit par La Périchole, il lui confie ses soucis : le problème des retraites, le 49-3... C’est un personnage haut en couleur, qui sera déguisé en geôlier dans le cachot des maris récalcitrants, son trousseau de clés devenant une percussion intégrée à l’orchestre.
L’acte II se déroule dans un salon du palais du Vice-Roi orné d’une immense peinture rappelant Fragonard. Deux lustres à pampilles de style Louis XV, les costumes en velours de l’Opéra de Marseille et l'altitude des perruques poudrées complètent ce tableau des nobles et des courtisans. Les deux jeunes amoureux, La Périchole et Piquillo, qualifiés “d'intermittents du spectacle”, présentent sans succès leurs duos à la joyeuse assemblée du Cabaret.
Héloïse Mas (qui reviendra prochainement à Marseille pour le rôle-titre de Carmen) incarne le rôle-titre avec une voix de mezzo-soprano ample et chaleureuse, aux graves nuancés et au forte expressif. Les paroles sont nettement articulées avec une rythmique très précise, parfois martelée même avec les pieds : “mon Dieu que les hommes sont bêtes".
Rémy Mathieu campe Piquillo amoureux de La Périchole. Sa voix de ténor projetée au timbre lumineux et aux paroles nettement compréhensibles, offre un médium riche et nuancé, mais les aigus sont parfois trop discrets.
Son rival, le Vice-Roi Don Andrès de Ribeira est incarné par Olivier Grand, qui affirme son autorité d’une voix puissante et nuancée, aux graves profonds. Il justifie avec conviction ses différents déguisements. Certains passages sont rythmés et même scandés, avec un texte toujours clairement articulé.
Les Trois Cousines sont interprétées par Kathia Blas (Manuelita), Perrine Cabassud (Ninetta) et Marie Pons (Mastrilla). Ce joyeux trio s’affaire auprès de ces messieurs. La première articule nettement le texte avec une voix souple au timbre rond, la deuxième s’exprime avec des aigus fruités en respectant justesse et précision, la troisième complète cet ensemble de son mezzo aux graves timbrés et à la ligne mélodique fluide.
Le rôle du Comte de Panatellas échoit à Dominique Desmons, tantôt travesti en personnage excentrique, tantôt en courtisan, avec un phrasé soigné et une ligne vocale nettement compréhensible. Il est complice de Don Pedro, Jean-Claude Calon, d’abord déguisé en livreur du Cabaret, parlant avec un cheveu sur la langue, puis en réalité gouverneur de la ville, aux côtés du Vice-Roi, s’exprimant avec une articulation claire, d'une voix nette et expressive.
Le mariage de La Périchole et Piquillo est noyé dans le vin, pour que les époux ne se reconnaissent pas. Michel Delfaud et Antoine Bonelli incarnent les deux notaires avec des paroles compréhensibles malgré leur joyeuse ébriété.
Michel Delfaud campe aussi le vieux prisonnier du cachot (deux cents ans !), enchaînant gags et facéties avec l’accent marseillais, à la grande joie du public. Il offre même un peu de son repas (une souris), joue du basson pieds nus et assomme le geôlier avec un gourdin d’homme préhistorique.
La danse occupe aussi une place importante dans cette mise en scène. Les chorégraphies d'Esmeralda Albert offrent des french cancan endiablés et même acrobatiques à la fin de l’acte I et pour le finale. Dirigé avec précision et énergie par la baguette de Didier Benetti, l’Orchestre du Théâtre de l'Odéon de Marseille alterne les tutti dynamiques de valses et de french cancan, parfois ponctués par le tambourin à cymbalettes et les intermèdes instrumentaux joués aux cordes veloutées, le tout rehaussé en particulier des interventions mélodieuses de la clarinette.
Le chœur mixte, préparé par Rémy Littolff enchaîne avec brio des passages mélodiques nuancés et de nombreux morceaux rythmés, le texte étant parfaitement compréhensible (la justesse ne tient toutefois pas dans le chœur d’hommes a cappella).
Le finale est un long french cancan étourdissant, dansé au Cabaret devant un public marseillais en liesse, une salle remplie, qui partage sa joie collective en frappant dans les mains et ovationne longuement les interprètes ainsi que le metteur en scène.