Così fan tutte et tutti à l’Opéra de Massy : laboratoire érotique
Assisté de Yassine Benameur, Éric Perez propose de placer l’action dans une boîte rouge, au mobilier tout aussi rouge, dans laquelle se détachent les chanteurs vêtus de blanc. Tels des rats de laboratoire, les réactions de Fiordiligi et Dorabella sont encouragées et observées par Don Alfonso et sa malicieuse complice Despina depuis une passerelle. Ce décor réalisé par Patrice Gouron s’inspire explicitement de celui du manoir dans le film Cris et chuchotements d’Ingmar Bergman, qui traite également des souffrances des femmes. De part et d’autre de cette grande boîte, le plateau est complété par des mannequins portant quelques costumes intemporels conçus par Stella Croce, qui seront utilisés lors de cette expérience sur la fragilité des sentiments humains.
Le premier acte est caractérisé par une recherche quasi constante de la symétrie entre les deux couples que forment Fiordiligi/Guglielmo et Dorabella/Ferrando. Ce procédé esthétiquement intéressant peut néanmoins, par son côté quasi systématique, se révéler un rien lassant dans le jeu et les déplacements des comédiens-chanteurs, également un peu exagérément ridicules. Le second acte, avec davantage d’airs individuels ou en duo, permet des jeux plus spontanés et une expressivité plus profonde de chaque personnage. Pour souligner aussi le potentiel comique de l’œuvre et en faciliter la compréhension, les récitatifs sont remplacés par des textes parlés en français, inspirés de différentes traductions et très légèrement adaptés. L’enchaînement des airs en italien avec ces moments parlés se fait de façon évidente et l’auditeur s’en accommode très aisément. Les lumières de Joël Fabing participent avec beaucoup de naturel et même de discrétion à l’action, mettant efficacement en valeur les chanteurs ou l’ensemble des décors, de manière fluide ou volontairement soudaine.
Fiordiligi est incarnée par la soprano Charlotte Despaux, de sa voix ronde et ample, aux graves très agréablement cuivrés et aux aigus faciles. Son endurance s’allie sans exubération à la finesse de son chant. Sa sœur Dorabella est interprétée par la mezzo-soprano Ania Wozniak dont le manque de consonnes n’empêche pourtant pas d’apprécier la sensibilité de sa voix ronde et tendrement chaude. Guglielmo prend les traits et la voix chaleureuse du baryton Mikhael Piccone, qui se montre particulièrement à l’aise dans son jeu de comédien et la prononciation de son texte. Son chant s’affirme notamment avec une projection bien dirigée et une ligne conduite (incarnant le sens des paroles de son air “Rivolgete a me lo sguardo” : Tournez le regard vers moi). Son comparse Ferrando est incarné par le ténor Jean Miannay, au timbre brillant dont les aigus légèrement tendus ajoutent en expressivité sensible. Il se montre particulièrement convaincu dans la tendresse, sachant nuancer à propos son chant.
Les deux « laborantins », amants et complices, Despina et Don Alfonso sont interprétés respectivement par Analia Telega et Jean-Gabriel Saint Martin. La soprano se montre très à l’aise dans le registre comique, sans en faire trop, avec également un sens du texte. Son volume pourrait cependant être plus sonore et présent pour apprécier même la clarté et la légèreté de son timbre. Le baryton impressionne par son aisance vocale et scénique, offrant un texte impeccable de sa voix large, chaleureuse et pleine. Il est une force d’équilibre lors des ensembles (d’où qu’il soit et notamment depuis la passerelle).
Le chef d’orchestre Gaspard Brécourt montre sa connaissance de ce répertoire, avec sa direction souple, sensible et attentionnée. Les petits décalages adviennent néanmoins entre le plateau et la fosse, surtout lors des ensembles, mais sans véritablement porter préjudice à la vivacité et réactivité de l’Orchestre Opéra Éclaté. L’ensemble fait d’abord craindre un volume trop présent pour que les voix puissent passer la fosse, mais il se montre équilibré avec un timbre scintillant.
Le public massicois applaudit avec joie l’ensemble des artistes du spectacle, saluant leur prestation endurante et joyeusement dramatique, tout comme la mise en scène efficace qui, loin de toute morale, sert l’œuvre en entretenant le doute : Così fan tutte ou Così fan tutti (Ainsi font-elles toutes, ou font-ils tous) ?
Ania Wozniak, Analia Telega & Charlotte Despaux | Jean Miannay, Mikhael Piccone, Analia Telega (© JM Molina) |