La Vie Parisienne : Opérette-Concert à la Halle aux Grains
Sans mise en
scène à proprement parler, pour cette œuvre drolatique de grand divertissement, la musique légère et entraînante exprime sa théâtralité pétillante. Mais l'espace est ici aussi approprié que le jeu, rien qu'avec quelques changements de costumes ou de « positionnement » de costume
(chemise déculottée, échange des bras de veste et cravate sur le front en
lendemain de soirée).
Le Chœur de l'Opéra national du Capitole (préparé par Gabriel Bourgoin) illustre bien l'enjeu d'une vocalité théâtrale en contexte de concert : le son est opératique, juste et puissant mais les passages à haut débit de texte, fréquents dans les opérettes d’Offenbach sont très difficilement compréhensibles et la diction manque d’homogénéité, les consonnes n’étant pas précisément ensemble. Une musique plus simple harmoniquement et mélodiquement, plus rythmique que lyrique, plus riche en texte qu’en voix est plus difficile à rendre précisément que de grandes lignes chantées qui pourraient être considérées comme plus complexes.
Romain Dumas dirige de façon extrêmement dynamique, sautant presque sur place à chaque levée, comme dansant avec la musique. Sa direction est généreuse et remplie de bonne humeur, la baguette virevolte, flotte et tombe parfois avec une main gauche extrêmement vive. L’Orchestre national du Capitole qu’il dirige a un son riche et rond, offrant une large palette de couleurs, tantôt léger et sautillant, tantôt explosif et pétillant. Les cordes en particulier sont très homogènes et unies, et la section de percussion très précises notamment dans ses roulements. En revanche, l’orchestre tend à couvrir une partie des solistes, plus particulièrement dès que ceux-ci explorent des nuances plus fines.
Anne-Catherine Gillet prête son riche timbre de soprano à Gabrielle, la bottière. La voix est précise et concentrée, avec une agilité qui semble passer sans difficultés les vocalises les plus touffues de la partition, et il est à noter que même ses graves poitrinés sont sonores. Sa maîtrise des consonnes et la précision de ses voyelles lui permet d’être presque toujours intelligible et d’articuler très bien le texte en général sans perdre son phrasé, chose difficile à faire pour une voix de soprano, plus éloignée du registre de la voix parlée et étant souvent dans des tessitures où il est nécessaire de couvrir -c’est à dire arrondir- les voyelles, ce qui se traduit automatiquement par une perte de clarté dans le texte. Son jeu parlé est simple et convainquant.
Gardefeu est incarné par Artavazd Sargsyan, qui propose une version un peu benête du nobliau, sympathique, amusante et crédible pour le personnage, dans un jeu sobre qui contraste avec celui de son comparse. Son timbre de ténor est suave mais peut manquer de brillance et par conséquent de clarté, possiblement par un léger manque de mordant ou de placement vocal dans le palais dur (l’arrière du palais ou palais mou permet de développer des sons ronds et chaleureux, l’avant ou palais dur donne plus de brillance, parfois jusqu’au métal, à la voix).
Son comparse Bobinet est joué de façon survoltée par Marc Mauillon avec un timbre clair, brillant et sonore, sans manquer de chaleur. Son texte est intelligible intégralement et il exploite pleinement les possibilités et l’étendue des inflexions de sa voix pour servir la musique, le propos et le jeu, privilégiant ce dernier sur la pure performance vocale. Humoristique et explosif, il sautille, il grimace, il crie, il danse, il ronfle, et sa performance est saluée par les rires du public (rires qui s'étendent jusqu’à ses collègues sur scène notamment lors du trio de la « gueule de bois » avec Prosper et Urbain).
Carl Ghazarossian assume le triple rôle de Prosper, Joseph et Alphonse. Son jeu parlé est sonore et drolatique par la multiplicité de ses inflexions et intentions. Son timbre chanté s’éloigne de celui de la déclamation pour donner un ténor rond, manquant de brillance (donc parfois de clarté de texte) et de puissance face à l’orchestre lors de certains passages.
Philippe Estèphe prête son timbre opératique, plus sombre, à Urbain et Alfred. La voix est ronde et puissante, en jeu -convainquant dans ses inflexions, déclamations et expressions- comme en chant. La couverture des voyelles même dans les médiums et la largeur du son de cette esthétique plus lyrique vient parfois au détriment de l’intelligibilité du texte, et donne une sonorité plus sérieuse à ses interventions.
Pierre Derhet joue le brésilien, Gontran et Frick avec un timbre équilibré, des inflexions variées et un texte qui ne perd de sa clarté que lors des passages à haut débit. Que ce soit le bottier embotté ou le coureur de jupon brésilien à l’accent caricatural à souhait, il joue ses personnages de façon pétillante. Il est d’ailleurs le seul à garder son accent de jeu lors de ses airs chantés.
Jérôme Boutillier est le Baron danois avec un accent pseudo-germanique des plus parodiques. Sa voix de baryton est large, lyrique et dramatique, ses lignes vocales soulignent un legato assez marqué, mais il sait quelquefois sortir de l’esthétique opératique pour partir sur des inflexions plus théâtrales. En terme de jeu, s’il peut lui arriver d’oublier son accent à deux ou trois reprises, sa présence scénique, sa gestuelle, ses expressions, sa gestion du timing (notamment des silences) et des modulations de la voix déclamée sont très appréciées du public et font beaucoup rire.
Sandrine Buendia incarne la Baronne et utilise sa voix de soprano de façon large et lyrique, plutôt couverte avec une grande ouverture et donc un vibrato assez présent qui rend parfois le texte difficile de compréhension. Son jeu théâtral profite d’un accent constant encore plus marqué que celui de son binôme, et offre une prestation convaincante dans ses surprises, ses indignations, ses chuchotements.
Métella est interprétée par Véronique Gens : la voix est large et peut manquer de précision du texte et de stabilité, ses voyelles étant plutôt couvertes même dans ses médiums et ses graves. Son jeu, comme son personnage, sont assez sobres comparés au reste de la distribution.
Elena Galitskaya joue Pauline, la domestique la plus présente. Malicieuse et coquette dans son jeu, son chant est précis et souple, sa sonorité est large, mais la précision travaillée des voyelles permet de bien la comprendre et de garder une ligne vocale claire malgré le texte parfois fourni.
Elle forme le trio des servantes avec Clara (Louise Pingeot) et Bertha (Marie Kalinine). Cette première fait une « cocotte » très convaincante par ses inflexions et ses mouvements exagérés, son chant est timbré, précis et compréhensible. La seconde complète le trio avec un jeu dans la même lignée, mais son timbre chanté est plus large.
Marie Gautrot est la Mme de Quimper-Karadec, tante de Bobinet, mémorable par ses cris et ses répliques tonitruantes et drolatiques, faisant preuve d’une présence scénique et déclamée aussi hurluberluesque que celle de son neveu. Elle est accompagnée par Caroline Meng en Mme de Folle-Verdure, coquette plus réservée mais au jeu également riche, à la voix large, dramatique et chaleureuse.
Le public réagit très positivement à cette opérette concertante, les éclats de rires sont récurrents (jusque dans l’équipe des solistes), les applaudissements nombreux et enthousiastes, la disparité des degrés de jeux et de l’approche vocale entre solistes ne semblant pas avoir nui à l’objectif premier de cette opérette : faire rire et divertir, témoigner aussi du talent d’Offenbach et de ses librettistes même sans décor ou mise en scène !