Surprises proustiennes à Bordeaux avec Natalie Dessay, Shani Diluka et Pierre Fouchenneret
L’Auditorium de l’Opéra National de Bordeaux est pratiquement plein en ce dimanche après-midi pour assister au récital « Proust » proposé par Natalie Dessay et son accompagnatrice Shani Diluka au piano. Au programme, des mélodies françaises de Fauré, Debussy, Duparc, mais également de nombreuses pièces instrumentales de Reynaldo Hahn, Eugène Ysaÿe, Cécile Chaminade (pianiste célèbre en son temps et compositrice de plus de 400 œuvres) ainsi que Richard Wagner dont Proust était un fervent admirateur.
Dans ce répertoire intimiste, moins éprouvant il est vrai que le bel canto qui a fait son renom, Natalie Dessay ne met pas moins à profit son phrasé élégant, son médium-aigu rayonnant accroché sans effort, son sens de la nuance jusqu'au pianissimo feutré et surtout ce naturel captivant qui invite à l'écoute et à l'empathie. Pas d'acrobaties vocales, pas de notes perchées dans l'aigu, mais un soin porté au texte et aux mélodies, où se perçoit l'apport de sa reconversion vers la chanson et le théâtre. Puis, endossant le costume de récitante, elle dévoile son talent de lectrice, habitée par son texte et puissamment éloquente. Sur la lecture de l’épisode de la Madeleine, elle n’est pas loin de procurer à son auditoire le goût du gâteau trempé dans le thé.
L’écriture de Proust convoque les sensations pour les questionner, les éprouver, jusqu’à ce trouble intime où se dissout le temps. L’effet est redoublé par la musique, qui opère comme un catalyseur des sens, révélant toute la dimension synesthésique de l’œuvre. Et Shani Diluka est une interprète particulièrement attentive de l’univers expressif de Proust. Elle déploie un jeu à l’intensité fiévreuse, riche d’émotions, avec un déroulement presque narratif où vient poindre un contre-chant à la main gauche d’une profondeur insoupçonnée.
Le violon de Pierre Fouchenneret, au jeu droit et sobre, ne se révèle pas moins envoûtant, avec une pureté sonore et une souplesse proches de la voix humaine, une sensibilité élégiaque filée jusqu’à l’aigu cristallin, magnifiquement ciselé. Il donne corps et âme à la Sonate de Vinteuil (morceau fictif entendu par Swann dans La Recherche du temps perdu) à travers une suite de diverses pièces de Wagner, Reynaldo Hahn et Eugène Ysaÿe.
Après une première salve d'applaudissements, la salle se voit offrir en bis l’Élégie de Jules Massenet, en trio. Le public ressort ravi et ne tarit plus d'éloges sur les trois interprètes de ce récital si original.