Une Flûte et des marionnettes enchantées à l’Opéra National du Rhin
Après une première vivement acclamée (voir le compte-rendu d’Ôlyrix), la mise en scène du comédien et marionnettiste Johanny Bert se renouvelle avec une seconde distribution pleine d’exubérance. L’enchantement s’exerce d’abord par la musique : dès l’ouverture, les artistes assis devant des cadres éclairés qui évoquent leur loge, se meuvent de manière chorégraphiée selon les dynamiques de la musique.
Autre source d’enchantement et véritable fil conducteur du spectacle : la marionnette, qui constitue à la fois un double des personnages ainsi qu’un modèle de traitement des objets et des protagonistes, dont les mouvements sont dirigés par des mains ou des fils invisibles (comme le tapis qui devient gigantesque serpent, par l’action d’hommes invisibles vêtus de noir, ou encore Tamino et Pamina, retenus par des élastiques dans le temple de Sarastro).
Tandis que Tamino et Pamina sont représentés par deux marionnettes graciles et cuivrées manipulées par les marionnettistes Chine Curchod et Faustine Lancel, lesquelles sont suspendues avec un harnais au-dessus de la scène lors des épreuves de l’eau et du feu, Sarastro est incarné à la fois par une impressionnante marionnette figurant un vieil homme dans une chaise roulante, et le chanteur Nicolai Elsberg qui lui « prête » sa voix. Afin de mouvoir les membres imposants du Sarastro-marionnette, Chine Curchod, Faustine Lancel et Valentin Arnoux œuvrent à vue du public, pour faire bouger ses bras, sa tête, et les mouvements de sa bouche. Si le mimétisme avec la voix du chanteur est très bien reconstitué, Sarastro prend davantage corps dans la voix du chanteur et non dans l’enveloppe marionnettique, signifiant ainsi la fin de son règne, et bientôt, son absence. Ce double personnage n’est pas sans jeter la confusion auprès des autres artistes, qui regardent tantôt le Sarastro-marionnette, tantôt le Sarastro-chanteur.
En Tamino, le ténor gallois Trystan Llŷr Griffiths fait briller de clairs aigus et des médiums souples. Si la projection et la prononciation sont modèles, le timbre gagnerait à se colorer un peu plus et à s’enrichir en nuances. Néanmoins, la précision des phrasés, et la légèreté du vibrato ainsi que son jeu sincère et soigné, séduisent d’emblée.
Promise à Tamino, Pamina trouve en la soprano Hélène Carpentier une interprète ingénue qui peut manquer de caractère et de piquant par moments. En revanche, elle dévoile un timbre limpide et des aigus puissants, soignant également des graves ronds et épais.
La soprano Marie-Eve Munger incarne quant à elle une Reine de la nuit en déclin (d’où son obsession pour la lumière), revêtue de contradictions : portant fourrure et survêtement, vivant dans une pièce verdâtre mal défraîchie. Surprenante de netteté, sa voix glisse entre les syllabes comme le miel, et façonne des vocalises lestes et serrées. Sans grandiloquence, mais avec efficacité, elle manie avec rigueur les hauteurs de son fameux chant stratosphérique.
Le baryton allemand Michael Borth incarne un Papageno très enjoué et tout à fait à son aise, suggérant une certaine actualité temporelle avec ses baskets violettes et son débardeur à paillettes. Solidement projetée dans les passages tant parlés que chantés (y compris avec une ampoule dans la bouche), sa voix dévoile des graves soyeux et des aigus riants. Avec une diction modèle, chaque syllabe est pesée et soignée, épousant les dynamiques de la mélodie mozartienne. Tout aussi énergique est son jeu scénique, riche en cabrioles et en souplesse corporelle.
La soprano Elisabeth Boudreault est une Papagena survoltée, qui enchaîne culbutes et grand écart. Teintée d’une aspérité un peu populaire, sa voix fait tinter des aigus brillants et énergiques.
En double scénique du Sarastro-marionnette, la basse danoise Nicolai Elsberg est loin d’être effacée, au contraire, sa haute taille et son charisme emplissent l’espace scénique tout autant que ses graves sombres et vibrants, au timbre légèrement enrobé, qui colorent d’une solennité émouvante les cadences.
En Monostatos, le ténor Peter Kirk incarne à merveille le rôle du traître libidineux. Sa voix légèrement pincée, et parfois un peu sèche, ne se départ cependant pas d’un accent anglais qui trouble parfois la diction.
En Premier ministre, le ténor Iannis Gaussin colore d’une égale justesse le duo formé avec le baryton Oleg Volkov, en Deuxième ministre. Ce dernier laisse entendre des graves puissants et montre une véritable aisance scénique.
En Orateur, le baryton Manuel Walser offre une diction pourvue de rugosités chaleureuses et enveloppantes. En Première dame, la soprano Julie Goussot dévoile des aigus saillants, tandis que la mezzo-soprano Eugénie Joneau, en Deuxième dame, conserve un timbre chaud. Également artiste de l’Opéra Studio, et Troisième dame, la mezzo-soprano Liying Yang projette une voix au timbre épais, offrant une solide assise au trio de dames : l’ensemble manque d’abord de justesse, puis gagne rapidement en clarté et en dynamisme.
Sous la direction de Hendrik Haas, nouveau chef du Chœur de l’Opéra du Rhin depuis novembre 2022, les voix embrassent avec netteté la richesse harmonique de la polyphonie. Tout aussi fluide est le jeu de l’Orchestre Symphonique de Mulhouse, qui, sous la direction rigoureuse d’Andreas Spering, fait retentir des fortissimi francs et des traits gracieux aux cordes.
Absolument enchanté, le public acclame longuement les artistes encore débordants d’énergie.