Avec Pygmalion, tous les chemins mènent à Bach
Pour un allemand, le nom Bach a une signification qu’il n’a pas pour un français (s’il n’est pas germanophone). “Ruisseau”, ou “courant”, telle est la traduction de ce patronyme célèbre de l’Histoire de la Musique. Comme une évidence, sa musique semble en effet couler de source. Ce cours d’eau irrigue depuis bien longtemps le parcours fertile de l’Ensemble Pygmalion. S’ils se sont récemment aventurés dans les méandres de la musique Romantique avec une prestation acclamée de Lakmé (Léo Delibes) à l’Opéra Comique de Paris, ils reviennent en cette fin d'année à leurs premières amours.
Entamés par une première série de concerts en cet automne, Les chemins de Bach est une aventure ambitieuse étalée sur plusieurs concerts, qui projette d’offrir au public une plongée en profondeur dans l’univers musical, familial et historique de Jean-Sébastien Bach. Le principe de ces programmes est simple : une œuvre de Bach, éclairée à chaque fois par une myriade d’autres, pour créer un ensemble de sens, une thématique. Avant Les Maîtres (février 2023), c’est à la Dynastie “Bach” que l’Ensemble Pygmalion s’attaque en premier lieu. Le programme met aussi en regard une autre dynastie contemporaine avec Hieronymus Praetorius et Michael Praetorius ainsi qu'un autre -bach : Heinrich Erlebach.
Si certains descendants de Bach sont connus (Carl-Philipp Emanuel ou Johann Christian par exemple), son génie n’est pas une émanation spontanée et miraculeuse. La famille Bach remonte en vérité à plusieurs générations de musiciens qui ont précédé le plus célèbre de leurs représentants. Attaché à rendre hommage à cet héritage, l’Ensemble Pygmalion a donc inscrit au programme quelques noms moins illustres de la dynastie (Johann Michael, Johann Christoph, Johann). Moins illustres, mais passionnants : dans quelques trésors musicaux, le sentiment d’humilité absolu de ces partitions sacrées trouve un sens musical bouleversant dans la recherche extrême de nuances délicates, un des atouts majeurs de Pygmalion.
Un sens de la justesse, un confort harmonique qui leur permet de conserver sa cohérence au discours, tout en allant chercher des intensités vocales à la limite du chuchotement. Les quintes sonnent parfaitement entre les voix graves, sans l’artifice d’un placement vocal trop pointu. Les voix aiguës, droites et légères se montrent pleinement à l’aise dans les hautes sphères, suffisamment en tout cas pour conserver à l’ensemble cette qualité organique, d’une douceur infinie.
Le public est saisi dès les premières secondes par la grâce de ce répertoire, tant dans le contenu de ses textes que dans leur interprétation. Émotion partagée à chaque fois que revient ce sens délicat de la nuance, au long des pièces habilement compilées par Raphaël Pichon pour préparer l’arrivée de la pièce maîtresse : la cantate BWV 106 Actus Tragicus de Bach (Jean-Sébastien).
Tout au long du concert, mais plus particulièrement dans cette pièce qui alterne solos et passages collectifs, les voix qui se détachent du chœur sont toutes étonnantes. Le cast de solistes choisi par Raphaël Pichon prouve son attachement à une interprétation sobre et délicate du répertoire. Aucun des timbres ne trahit d’excès lyrique. Tout est fait avec le même goût du texte, d’abord. À commencer par l’angélique William Shelton (alto) dont la voix pure émerge de l’orchestre avec les flûtes. Maïlys de Villoutreys (soprano) imite à merveille les voix d’enfants employées à l’époque, avec son timbre de cristal, traversé çà et là par une fragilité assumée, très à propos dans le répertoire d’église. Ces voix légères de timbre, y compris même celle du baryton Tomáš Král conviennent pleinement à la musique du jeune Jean-Sébastien Bach (la cantate a été composée au début de sa vingtaine).
À la fin de ce premier séjour au pays de Bach, le public sort de son enchantement et salue chaleureusement les artistes. Les bravos sont unanimes pour tous les acteurs de la soirée, y compris pour l’orchestre sur instruments d'époque qui, bien qu’il ne tienne pas le premier rôle dans cette musique, maintient justesse et équilibre : qualités indispensables pour restituer un style dont la grâce ne vient pas de la fantaisie, mais de l’esprit de corps.
L’ambiance sera vraisemblablement différente, peut-être plus lyrique au prochain concert de cette série, qui mettra en avant des compositeurs italiens parmi les Maîtres qui ont influencé Bach. De Monteverdi à Carissimi, c’est hors des frontières allemandes que mèneront Pygmalion et Pichon sur les Chemins de Bach, en février.