Sans Tambour de Samuel Achache au Festival d’Automne à Paris
“Sans tambour ni trompette” est l’expression française empruntée en partie dans le titre de ce spectacle qui représente l’effondrement d’une maison et des sentiments des personnes qui l’habitent. Le point de départ est donc une fin : un couple brisé, les vestiges d’une résidence et l’écho des Lieder de Schumann accompagnant une renaissance musicale possible à partir des décombres.
Socle de création du spectacle, les pièces piano-voix de Schumann sont tirées principalement des Liederkreis, mais aussi des Frauenliebe und Leben, Myrthen, Dichterliebe (Cycle de mélodies, L'Amour et la vie d'une femme, Myrtes, Les Amours du poète). Sous la direction musicale de Florent Hubert, les Lieder sont arrangés collectivement par les musiciens, qui sont aussi comédiens. Le geste d’écriture est un geste horizontal et partagé : les musiciens ne sont pas seulement interprètes, mais aussi “auteurs” et “créateurs”.
Cinq musiciens plurinstrumentistes ouvrent la scène et présentent un instrumentarium plus que varié : une flûte, un accordéon, un violoncelle, une clarinette et clarinette basse, un saxophone et un piano. Ils passent aisément d’un instrument à l’autre, d’un style musical à un autre. Les compositions originelles et les revisites dans les tons jazz colorent des scènes à l’humour absurde, où rire et mélancolie se côtoient. Faisant usage de leur voix, les instrumentistes se rassemblent autour de propositions rythmiques et finalement, les voix des musiciens et des comédiens se rejoignent dans un chant choral conclusif.
Dès son entrée, la soprano Agathe Peyrat intègre discrètement le groupe des musiciens, tout en affirmant sa présence par une voix au timbre clair et agile. Elle déploie avec finesse et sûreté une ligne à l’extension large qui participe aussi aux effets sonores et aux bruitages produits par les instrumentistes (par exemple, dans la scène burlesque de la reproduction du son d’un disque vinyle). Agathe Peyrat double avec le chant les inflexions des phrases de la comédienne Sarah Le Picard : texte chanté et parlé se superposent selon un principe de rythmisation de la parole. Grâce à un geste extrêmement libre et versatile, selon les scènes, la soprano peut assurer avec grande expressivité un Lied accompagné par le piano, tout comme chanter sous l’eau coulante de la douche, ou encore passer du chanté au parlé dans un même souffle.
Léo-Antonin Lutinier, contre-ténor, déploie une expressivité scénique et une voix tout aussi unique : placé de manière improbable dans un piano en polystyrène, il ouvre le programme à Schubert avec des aigus perçants et des graves soutenus, ou encore, il chante avec souffrance des bribes de Schumann dans l’absurde scène finale représentant une opération chirurgicale.
L’espace du plateau-chantier se déconstruit au fur et à mesure que les comédiens et musiciens évoluent sur scène. La scénographie de Lisa Navarro, décidément fascinée par la ruine et la décadence, raconte que tout se déconstruit mais peut aussi se reconstruire et se transformer : il est possible “d’inverser les règles du monde”, comme le dit le comédien Lionel Dray, et de s’ouvrir à de nouveaux champs (chants) des possibles.
Le public, fasciné par ce voyage hors du temps tissé par la musique et la parole théâtrale mêlées, salue chaleureusement l’ensemble des artistes et ce projet, qui poursuit ainsi dans la veine d'Orfeo Je suis mort en Arcadie, Songs, Le Crocodile trompeur et poursuivra sa grande tournée à Nancy, aux Bouffes du Nord, au théâtre de Caen.