Un public heureux d’être là pour Ermione au TCE
L’histoire de cette Ermione de Rossini est simple : Oreste (le fils d’Agamemnon) est amoureux d’Ermione (la fille du roi de Spartes, Ménélas), qui elle-même aime Pyrrhus (le fils d’Achille), qui adore la troyenne prisonnière Andromaque, dont la fidélité à son défunt mari Hector est inébranlable. Bref, les ingrédients d’une tragédie sont d’emblée réunis. Musicalement, l’œuvre est intéressante car elle est une synthèse des œuvres précédentes du compositeur (les vagues orchestrales de l’ouverture rappellent La Pie Voleuse, l’introduction orchestrale du premier grand ensemble est repris de La Cenerentola, etc.) et annonce ses œuvres à venir (le duo entre Pylade et Fenicio, le tuteur de Pyrrhus, a déjà les accents du futur duo Tell-Arnold dans Guillaume Tell). Intéressante, elle l’est également par la complexité de sa partition, requérant ainsi chez les hommes pas moins de trois ténors de haut niveau.
Alberto Zedda (© DR)
Le premier, Michael Spyres (qui chantera Don José dans Carmen in loco -réservez vos places ici), est l’interprète de Pyrrhus. Sa partie est un parcours de montagnes russes sans fin : avec un ambitus (écart entre la note la plus haute et la note la plus basse de sa partition) impressionnant, il monte jusqu’au contre-ut (la note la plus haute chantée par les ténors) et descend jusqu’à des graves de baryton. Comme dans le Mithridate de Mozart dont il tenait le rôle-titre voici quelques mois dans ce même théâtre (lire notre compte-rendu), il est obligé de forcer l’attaque de ses aigus qui sont du coup parfois criards ou manquent de justesse. Ses graves sont en revanche magnifiques. Ses médiums flamboyants ont également du caractère. S’il semble être dans la démonstration de force durant son duo du premier acte avec Angela Meade, il a en revanche l’intelligence d’alléger son chant dans son duo de la seconde partie avec Eve-Maud Hubeaux afin de ne pas la couvrir.
Le second ténor, Dmitry Korchak, n’est pas en reste. Usant de son timbre cuivré et de sa capacité à produire des aigus vertigineux et surpuissants, il interprète le malheureux Oreste. Sans reprendre sa respiration, il enchaîne une note longuement tenue et une descente chromatique (par demi-tons) vocalisante, en s’accompagnant de la main (il recueillera d’ailleurs de longs bravi à l’issue de son air). Son phrasé autoritaire lui confère une certaine prestance, notamment dans les récitatifs. Le troisième ténor est Enea Scala, dont le timbre est très différencié et complémentaire par rapport à celui de Korchak. Sa vocalité est typiquement italienne, plus chaude, presque solaire dans certains passages. La voix joliment couverte (mais moins posée dans les récitatifs), il interprète avec finesse le personnage de Pylade, le compagnon d’Oreste.
Angela Meade (© Faye Fox)
Face à ces trois hommes, la prima donna fait également face à un défi musical. La plantureuse soprano américaine Angela Meade dispose d’aigus virtuoses mais légèrement stridents. Si ses graves puissants sont parfaitement menaçants, elle parvient à trouver en voix de tête des suraigus filés très appréciés du public. Sa diction est travaillée, y compris dans les passages rapides nécessitant un effort particulier de diction. Qu’elles expriment la fureur, le doute ou le remord, ses vocalises emplissent la salle avec une agilité déconcertante. Pourtant, elle parvient à produire, à la fin de l’opéra, des instants suspendus, dans lesquels elle exprime les sentiments extrêmes et contraires qui traversent son personnage avec une légèreté vocale envoûtante. Un frisson parcourt la salle lorsque ses vocalises témoignent de sa résolution (trop tardive) à sauver son amant qu’elle a fait assassiner.
La mezzo-soprano Eve-Maud Hubeaux, qui interprète Andromaque, dispose de médiums riches et profonds et d’un vibrato rapide et léger. Les graves de sa voix chaude sont puissants et maîtrisés. La voix de la basse Patrick Bolleire (Fenicio) est à la fois profonde, sombre et tonnante, faisant de lui un parfait interprète dramatique. Certaines couleurs se rapprochent même de la vocalité propre à la musique sacrée. Issus du Studio de l’Opéra de Lyon, la jeune et charmante Rocio Perez (Cléone) apporte un vent de fraîcheur avec sa voix agile et chantante, le ténor André Gass déroule ses interventions avec un plaisir non feint à prononcer chaque mot, tandis que Josefine Göhmann, plus timide, s’acquitte de son rôle tout à fait honorablement. Ces trois jeunes artistes seront de nouveau rassemblés à Versailles pour Le Couronnement de Poppée en avril (suivre ce lien pour réserver).
Eve-Maud Hubeaux (© DR)
Le principal regret laissé par cette distribution de grande qualité reste son faible investissement dramatique, les chanteurs, attachés à leur partition, gardant un air détaché tout au long de la soirée (seule Angela Meade paraissant réellement investie lors des dernières mesures de sa partition). De ses gestes saccadés, Alberto Zedda dirige l’Orchestre de l’Opéra de Lyon avec l’assurance du maître de l’opéra rossinien qu’il est. S’il n’obtient pas des crescendos rossiniens malgré un visible trépignement durant l’ouverture, il parvient à régler avec une précision diabolique les ensembles les plus complexes, certains impliquant les neufs solistes et le chœur, chacun d’eux exprimant une émotion propre avec une mélodie et un rythme spécifique. À en juger par l'enthousiasme des applaudissements ayant ponctués la soirée, le public était manifestement heureux d'être là ce soir-là !
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