Résurrection de la résurrection de La Finta Pazza à l’Opéra de Versailles
Le 14 décembre 1645, un jeune garçon de 7 ans découvre avec émerveillement la toute première représentation (identifiée) d’un opéra italien en France. Cet enfant, devenu grand et connu sous l’appellation de Roi Soleil, décidera pourtant la destruction du théâtre du Petit-Bourbon (pour y construire la grande colonnade du Louvre), mais restera indéniablement marqué par cette œuvre qu'il avait y avait découverte : La Finta Pazza de Francesco Sacrati sur un livret de Giulio Strozzi.
« La Folle feinte » (La Finta Pazza) est représentative d’une époque charnière dans l’histoire de l’art lyrique, lors de laquelle sont introduites les scènes de folie et les intrigues parfois burlesques autour du travestissement. La redécouverte de la partition dans les années 1980 a permis un retour sur scène (celles de Versailles et de Dijon) en 2019, et elle se voit ici reprise, à nouveau triomphalement.
Le plateau dessine différents plans tel un tableau vivant, s'appuyant sur des draps et rideaux pour définir les espaces en profondeur (jusqu'au gynécée) le tout également sculpté par de chaudes lumières. L'esprit des machines n'est pas non plus en reste, les dieux ou vertus suspendus fendant les airs comme des poissons dans l'eau. La scénographie est fluide, avec un équilibre soigné entre les moments d’action et ceux plus centrés sur la seule présence scénique et vocale des chanteurs.
Mariana Flores incarne l'héroïne Deidamia, amante d’Achille et désespérant qu’il doive partir pour Troie (elle feint la folie pour le retenir). Par son timbre rond et brillant, la soprano offre des airs nuancés, expressifs de la déclaration d’amour intime à l’intense démence. Son visage grimé d’un maquillage légèrement pâle soutient aussi des moments plus mélancoliques.
Volontaire pour partir en guerre, Achille est d’abord forcé de se plier au stratagème de sa mère Thétis, se travestissant pour se cacher parmi les femmes. Le contre-ténor Filippo Mineccia se joue avec retenue mais efficience de cette ambiguïté androgyne, entre finesse vocale, voire léger maniérisme, et virilité guerrière. La voix est expressive et présente, avec des aigus souples et des médiums caressants.
Diomède, amoureux de Deidamia, est interprété par le ténor Valerio Contaldo qui partage sa vaillance sensible d’un timbre sûr et chaleureux. Le Capitaine de Salvo Vitale fait entendre une voix présente, large et profonde, bien que manquant un rien de résonnances pour les notes les plus graves. Ulysse bénéficie de la voix claire et sonore du contre-ténor Gabriel Jublin, dont la présence sonore pourrait être encore davantage contrastée. Kacper Szelążek campe un Eunuque au jeu scénique très drôle tout en gardant une voix légère, fine et présente, agrémentée d’une souplesse de phrasés. La Nourrice incarnée par le ténor Marcel Beekman est hilarante, par sa présence scénique et l’agilité vocale déployée pour varier registres et timbres. Le roi Lycomède est chanté par Alejandro Meerapfel d'un timbre autoritaire et particulièrement sombre, qui mériterait davantage de projection.
Enfin, Alexander Miminoshvili parvient à se faire remarquer en Vulcain et en Jupiter, par le souffle long et la résonnance des graves qui ne souffrent aucunement des hauteurs de sa position scénique. Le harnais gêne un peu le soutien de Norma Nahoun lorsqu’elle interprète la Renommée mais l’agilité et la clarté de sa voix n’en pâtissent aucunement, encore moins quand elle devient Minerve. Aurore et Junon ont de Julie Roset la voix lumineuse et fraiche à propos, avec des vocalises agiles. Thétis et la Victoire sont incarnées avec finesse et rondeur par Fiona McGown.
Constamment et extrêmement attentif, précis et souple dans sa gestuelle, et incontestablement sensible à tout moment, la musicalité de Leonardo García Alarcón se diffuse au sein de son ensemble, La Cappella Mediterranea qui se montre équilibrée, fine et colorée avec minutie dans chaque intervention (le tout rehaussé d'un plaisir aussi visible que communicatif).
Les longs applaudissements se manifestent, dès l’entracte, et plus encore lors des saluts finaux qui auraient duré encore davantage, s'ils ne s'étaient interrompus pour savourer la basse obstinée entrainante relancée par le maestro.