Les Voix des Outre-mer voguent vers Les Contes d’Hoffmann
“Yé krik ! Yé krak ! Yé mistikrik ! Yé mistikrak !”
C’est ainsi que commencent tous les contes aux Antilles, c’est ainsi que commenceront assurément les représentations de ces Contes d’Hoffmann que les Voix des Outre-mer feront résonner à travers la France, donc à travers le globe (avant de les présenter à Paris).
“Yé krik ! Est-ce-que la cour dort ?” demande le conteur antillais, auquel l’auditoire répond : “Yé krak ! Non, la cour ne dort pas !”
Assurément l’association Les Contres Courants aura éveillé des vocations ultramarines et réveillé l’opéra dans des territoires français et pourtant éloignés de l’art lyrique : en organisant des auditions et leçons chaque année à travers ces territoires, sélectionnant des finalistes invités à se produire à Paris (comme nous vous en rendons compte chaque année). Ce processus bien rôdé qui en est à sa 5ème édition, propose de détecter et former des talents à l’art lyrique que certains découvrent totalement, et le concours valorise également des artistes originaires d’Outre-mer venus à Paris faire carrière. En cela aussi ces Contes d’Hoffmann ressemblent pleinement à Voix des Outre-mer puisqu’ils réuniront des distributions d’ultra-marins et de métropolitains, en voyageant d’abord dans une grande tournée des territoires arpentés par le concours, la capitale parisienne passant après. Cette production d’opéra est ainsi à l’image du Concours, réunissant les artistes de tous les Outre-mer, qu’ils en viennent ou y résident, qu’ils y soient ou dans l’Hexagone.
Les Contes d’Hoffmann viennent ainsi comme un aboutissement, celui du projet Voix des Outre-mer et de son quinquennat de travail mené à renforcer la présence de l’opéra à travers les territoires et les esprits : afin de faire résonner l’art lyrique à travers les Outre-mer (qui pourront assister à cet opéra), et pour valoriser le travail des lauréats du Concours (engagés pour cette production ayant de fait valeur de professionnalisation).
Rencontre des cultures
Bien entendu, Les Contes d’Hoffmann d’Offenbach n’ont pas été choisis par hasard et ce projet se prépare de longue date. Le choix même de cet opéra féerique composé par un allemand naturalisé français souligne l’universalité de l’art, de la musique, des contes qui amusent et émeuvent petits et grands à travers les siècles et les océans. Ces contes prendront ici une couleur toute particulière à chaque représentation, un conteur local étant engagé dans chacun des différents lieux de la tournée pour remplir la fonction de narrateur, et dans la langue créole du cru. Cette manière de faire est d’ailleurs exactement celle prévue à l’origine pour cette œuvre : Les Contes d’Hoffmann est d’abord un “opéra-comique”, enchaînant des passages chantés et des dialogues parlés (qui doivent être traduits dans la langue du lieu de représentation).
“C’est la rencontre de la France par ce grand opéra français” se félicite Fabrice di Falco qui poursuit : “avoir un conteur qui peut conter dans la langue du lieu-même où est donnée l'œuvre la rend aussi accessible au public, donne encore plus envie de suivre, d’écouter de s'intéresser, de se l’approprier. Ceux qui ne connaissent pas beaucoup le répertoire peuvent ainsi non seulement le découvrir mais s’y plonger. Lorsque Les Contes d’Hoffmann parlent aussi créole, alors en réalité chaque spectateur peut se rapprocher du sujet et penser que ce répertoire lui appartient aussi (car tel est le cas).”
La version de ces “Contes d’Outre-mer” revient même à une origine absolue de cette œuvre, en partant de la version piano-voix telle que Jacques Offenbach l’a entendue pour la seule fois de sa vie : chez lui à Paris en 1879 avec une troupe de chanteurs autour de son piano (Offenbach s’éteindra le 5 octobre 1880 à Paris, et Les Contes d’Hoffmann seront donnés en création posthume à l'Opéra Comique de Paris le 10 février 1881).
La version musicale de cette production ultra-maline a été cousue sur mesure, concentrée et retravaillée en 1h30, et elle permettra même de naviguer entre différentes versions parmi celles qui ont été esquissées et complétées (alliant celles de Choudens et de Keck) en allant même puiser dans la version où le héros est baryton au besoin, ou plutôt selon les talents en présence.
Une version ultra-mobile
Le choix de cette version musicale, tout comme le choix qui a été fait pour la mise en scène de cette production rendent le spectacle mobile et permettent ainsi à ces Contes d’Hoffmann de parcourir les Outre-mer en s’adaptant à chaque territoire. “L’adaptation aux lieux renforce le lien entre la production et son terrain d’adoption, tout en rendant l’opéra facile à transformer et transporter” comme nous l’explique Fabrice di Falco qui poursuit : “Cela nous permet de tourner ce projet partout en Outre-mer, nous donnant donc ainsi la liberté et la possibilité de nous appuyer sur tout le potentiel de cette œuvre populaire, en la donnant dans des cadres populaires, en allant vers le public.
La mise en espace nous permet de la représenter partout, à l'intérieur, dehors s'il fait beau, en extérieur lorsqu’il n’y a pas (encore) de salle de spectacle idoine sur place.”
Les trois premières représentations de la grande tournée seront données en Martinique les 16, 17 et 18 décembre dans les ruines de l'ancien Théâtre de Saint-Pierre, avec Edward Liddall au piano en bas de l'escalier, tandis que la dizaine de chanteurs évolueront grâce à un travail de mise en espace effectué sur place pour prendre possession des lieux.
Cet événement coïncide avec la quatrième édition du Festival FILAO créé par Fabrice di Falco et Julien Leleu (tout comme Les Contre Courants et donc Voix des Outre-mer) à Saint-Pierre pour promouvoir cette ville du Nord-Ouest de la Martinique qui (avant l'éruption de la montagne Pelée) était un pôle artistique, économique et culturel, de l’Île et de la région : c’était la première ville à avoir l'électricité aux Antilles, c’était avec La Havane le passage de la caravane des caraïbes. Cette ville renaît ainsi de ses cendres se reconstruisant sur ses ruines et par la culture avec notamment ce Festival (entièrement gratuit) qui fait revivre toute une effervescence de l'époque, via des manifestations pluri-disciplinaires durant le dernier weekend avant Noël (le filao étant un arbre souvent utilisé comme sapin de Noël aux Antilles). Ce Festival est aussi un avant-poste pour Voix des Outre-mer : la chanteuse Karine Deshayes et le pianiste Jeff Cohen (très impliqués avec Les Contre Courants) y sont venus, le spectacle hommage à Christiane Eda-Pierre y a été donné (notre compte-rendu à Bastille), de même qu’une première version du concert des divas (notre série Airs du Jour). Cette année, le Festival FILAO réunira ainsi la Finale Régionale Voix des Outre-mer et la production des Contes d’Hoffmann.
Ce spectacle se rendra ensuite les 17 et 18 février 2023 à La Réunion, conservant la même forme avec là encore tout un travail scénique de préparation en amont, mais en outre, en fosse l’Orchestre de la Région Réunion (qui, se basant sur la version piano et d’après son effectif, se rapprochera au maximum de la version originale pour orchestre qu’aurait pu composer et créer Offenbach), le tout dirigé par le chef Thierry Boyer. Le spectacle devant se dérouler dans la Salle Gramoun Lélé à Saint-Benoît, il s’agirait même alors d'une inauguration pour la fosse d'orchestre.
Spectacle de lauréats
Les Contes d’Hoffmann ont aussi pour particularité comme leur nom l’indique de s’inspirer de différents contes (écrits par E.T.A. Hoffmann), proposant ainsi trois actes distincts qui permettent d’engager différents interprètes : de quoi mettre à l’honneur toute une troupe de lauréats du Concours Voix des Outre-Mer. “Ces lauréats des cinq éditions assumeront les rôles principaux, les seconds rôles, mais aussi les chœurs avec plusieurs distributions en alternance dans les territoires ultra-marins, se félicite Fabrice di Falco. Cela montre les résultats de la formation Voix des Outre-mer (les auditions s’accompagnant de cours et master-classes, les candidats étant également suivis et accompagnés dans la suite de leurs parcours). Notre projet consiste à détecter des voix, les révéler, les mettre en lumière, et leur proposer des productions notamment pour lesquelles on ne vient pas naturellement les chercher. Nous les accompagnons à la rencontre d’agents, dans des auditions, nous les menons vers des productions et leur proposons des concerts, des spectacles, et donc désormais des productions d’opéra pour leur mettre le pied à l’étrier.
Toute la tribu des Outre-mer, qui a l’habitude de se soutenir et de se réunir aux concerts, se retrouvera sur cette production, comme une troupe de Molière, comme une même famille liée par la musique. Dès que nous avons un projet, les Voix des Outre-mer sont présentes, se réservent pour ce rendez-vous : concert, hommage, production, la famille continue à se souder à chaque occasion.”
D’ailleurs nombre de candidats et lauréats de Voix des Outre-mer chantent des airs des Contes d'Hoffmann, pour cette compétition ainsi que pour d’autres, en audition en concours, décrochent des prix voire leurs diplômes de conservatoire avec cette œuvre devenue emblématique.
L’opéra d’Offenbach contient en effet une série de tubes, immédiatement appréciables du grand public et portés par des personnages (et des “emplois” d’opéra) très intéressants et formateurs. La richesse des personnages de cet opéra résonne d’ailleurs avec la formation de Fabrice di Falco qui a bâti un rapport personnel avec différents caractères de cette œuvre, comme il nous le confie : “J’ai découvert Les Contes d’Hoffmann grâce à ma professeure de chant Liliane Mazeron, soprano colorature qui avait évidemment chanté le rôle de la poupée. Cette œuvre m’a aussi montré la richesse et diversité des rôles de soprano colorature.
J’ai également appris que Christiane Eda-Pierre (à laquelle Les Contre Courants, association des Voix des outre-mer, rend hommage dans un concert-conférence qui poursuit sa tournée) a chanté Antonia au Palais Garnier dans la mise en scène de Patrice Chéreau.
Et puis il y a un rôle que j'affectionne beaucoup, que je n'ai pas pu chanter dans ma carrière : celui de la maman, du fantôme (je l’incarnerai dans certaines occasions). C’est le rôle qu'on ne voit pas, qui reste en retrait pour faire briller les autres, les mettre dans la lumière (ce qui correspond à ce que je fais avec les Voix des Outre-mer).”
Avant d’entreprendre ce grand voyage ultra-marin, ces Contes d’Hoffmann ont été inaugurés d’abord dans une version opéra école avec les quatre principaux rôles : Clara Bellon dans le rôle d’Olympia, Candice Albardier dans le rôle de Giulietta, Yoann Piazza dans le rôle d’Hoffmann et Arnaud Khatcherian en Lindorf, rejoints par d’autres voix passionnées dans une création/masterclass avec une association d’opéra à Nancy et l’encadrement de Patrizia Ciofi, Fabrice di Falco, Richard Martet et Nicola Berloffa, réunissant chanteurs d’Outre-mer et de l’hexagone accompagnés au piano par Edward Liddall.
Pour la création de cette production en Martinique en cette fin d’année 2022, Axelle Saint-Cirel (Finaliste Voix des Outre-mer 2020 originaire de Guadeloupe et qui participait au Concert-conférence hommage à Christiane Eda-Pierre) incarnera la muse Nicklausse.
Les trois héroïnes Olympia, Antonia et Giulietta, chacune ayant son acte, seront réparties et confiées à trois chanteuses, respectivement de Martinique, Réunion et Nouvelle-Calédonie : Amélie Leduc, Candice Albardier et Jennifer Pellagaud.
Joé Bertili Finaliste Voix des Outre-Mer Guadeloupe 2019 incarnera le conseiller Lindorf (qui intervient dans le Prologue et l'Épilogue) et Crespel le père d'Antonia (dans l'Acte III). Cet artiste s’est déjà produit dans Les Chevaliers de la Table Ronde à l’Opéra Grand Avignon, L’Italienne à Alger à Toulon, Ascanio à Genève et son livre-disque (nos comptes-rendus).
Eric Laigle (Voix des Outre-mer Guyane et qui a suivi notamment au Conservatoire de Cayenne une master-classe avec Marie-Laure Garnier qui a remporté la première édition du Concours) interprétera pas moins de cinq rôles : les valets Andrès, Cochenille et Frantz, l'étudiant Nathanaël, l'inventeur Spalanzani.
Carl Mam Lam Fouck (Voix des Outre-Mer Martinique) chantera l’étudiant Hermann et l’opticien Coppélius.
Enfin, élargissant la distribution et ouvrant des perspectives, Mathieu Gourlet qui participait aux auditions et master-classes Opéra Passion à Nancy organisées en mars dernier pour ces Contes d'Hoffmann, sera artiste invité en Docteur Miracle et Capitaine Dapertutto tandis que le rôle-titre sera confié au ténor Raphaël Jardin du Centre d'Art Lyrique de la Méditerranée, ouvrant encore des voix de partenariat en bords de mer. Coretta Moueza (professeure d'éducation musicale, Voix des Outre-mer locale de l'étape Martiniquaise et finaliste nationale en 2020-2021) chantera pour sa part la voix qui sera plus tard reprise par Fabrice di Falco.
Rendez-vous est ainsi pris pour Les Contes d’Hoffmann à travers les Outre-mer et jusqu’à Paris en 2024, ce projet entamant une grande tournée à l’image de ceux déjà engagés par Les Contre Courants, en hommage à Eda-Pierre, aux Diva Noires, au service des voix d’hier pour aujourd’hui, avant encore d’autres aventures.