Promesses et talents au Concert des Lauréats du Fonds Tutti
Ils ont tous moins de 35 ans, résident en
France et n'ont pas encore d'agent, voilà les trois conditions pour postuler au programme du Fonds Tutti, qui a pour mission d'aider les jeunes chanteurs
lyriques à aborder la difficile insertion dans le milieu professionnel. Huit solistes expérimentés ont accepté d'être leurs mentors et de partager avec eux
leur savoir, leur connaissance du milieu, leurs ficelles pour réussir dans ce
métier.
Accompagnés alternativement par deux pianistes (bénévoles),
les huit lauréats (deux hommes et six femmes) proposent un programme assez
classique mais relativement varié, dans lequel se côtoient airs et duos bien
connus de Mozart, Rossini, Verdi, Gounod, mais aussi Hahn, Boito et Thomas. Les qualités vocales sont évidentes chez chacun d'entre eux quoiqu'assez différentes voire inégales selon les répertoires. Les jeunes chanteurs montrent malgré tout
beaucoup de promesses, mais surtout beaucoup d'entrain et de plaisir à partager
une belle soirée de musique (qualités qui serviront de base à construire et tenir encore davantage dans la durée l'aisance et la présence scénique).
Elsa Roux Chamoux fait du What a movie de Bernstein un moment renversant et enlevé de la soirée, l'enthousiasme de la chanteuse faisant comme dérouler le film sous les yeux du public (même si sa diction mériterait d'être un peu plus précise). Sa Zerline a presque trop de caractère, et c'est elle qui finit par avoir l'air de séduire un Don Giovanni un peu timoré. Comédienne, elle fait également montre d'une maîtrise de sa voix dans tout son ambitus, y compris un registre de poitrine particulièrement réjouissant. Le timbre est ferme, l’émission volontaire, mais la voix manque parfois de liberté dans les aigus, ce qui peut provoquer de légers soucis de justesse, comme dans la Barcarolle d’Offenbach, interprétée avec la mezzo-soprano Astrid Dupuis.
Cette dernière peint une vision tout à fait charmante du célèbre Una Voce poco fa de Rossini, déployant une voix au timbre aussi brillant dans les graves que dans les aigus, mais manquant d’énergie et de projection dans les vocalises qui s’en trouvent peu précises. Sa spontanéité et sa simplicité ne font qu’ajouter au plaisir de sa prestation telle que déployée et reçue par le public.
Le baryton-basse Alexandre Baldo possède également une personnalité scénique expressive et directe, incarnant la candeur de ses personnages mais lui permettant même d’offrir un Caïd trublion et potache dans les couplets du tambour-major d’Ambroise Thomas. Doté de graves profonds et brillants, le jeune chanteur gagnera à maîtriser sa voix un peu trop large par moments pour mieux la canaliser, ce qui améliorera encore sa diction et ses vocalises déjà agiles.
La soprano Claire de Monteil impressionne en Verdienne dans l’air "Tacea la notte" extrait du Trouvère autant qu’elle séduit les oreilles dans le duo "Bess, you is my woman now" de Gershwin. Toujours très habitée, elle offre une voix large qui mériterait parfois un tout petit peu plus de concentration dans les résonateurs afin de ne pas affaiblir le vibrato, des aigus souples et à la chaleureuse superbe ainsi qu'une longueur de souffle marquante.
La projection trop en arrière du baryton-basse Antoin Herrera-Lopez Kessel, encore un peu nerveux, se libère, et son coffre avec, dans le duo de Gershwin laissant entendre le vrai velours de sa voix, longue, chatoyante et légère. Il alterne néanmoins un Mefistofele de Boito convaincu, avec des adieux de Cosi fan tutte en retrait comme pour Don Giovanni.
La soprano Lyriel Benameur a une voix impressionnante de maturité, à la fois brillante, souple, agile, servie par une technique sans faille. Sa musicalité demeure cependant encore très appliquée dans ses interprétations.
Camille Chopin, soprano légère, en fait de même pour ses personnages. Néanmoins, la diction et la technique sont bien présentes, le timbre est très brillant, même si l’émission, s'approchant parfois un peu trop du larynx, serre quelque peu la justesse. L’aisance vocale est évidente, et les aigus brillants sont son plus sûr rempart contre une nervosité naissante dans la mise en place.
Enfin, Anouk Defontenay déploie le spectre de sa tessiture avec un timbre de mezzo-soprano aux riches graves, sans artifices. Les aigus sont pour l'instant moins libres mais l'interprétation déploie une sensibilité et une souplesse qui ne laissent pas indifférent.
Les deux pianistes Cécile Restier et Selim Mazari accompagnent les chanteurs avec beaucoup de chaleur et de générosité, parfois un peu trop fort par rapport à certains. L'organisation de ce concert (par un collectif d'artistes lyriques) montre cependant son évidente attention sur ce point, et c'est la douceur précise du théorbe d'Elodie Brzustowski qui accompagne Monteverdi.
À l'accompagnement de ces artistes répondent les applaudissements d'encouragement du public, souhaitant une belle carrière aux interprètes et avant cela le plaisir du concert le lendemain, même lieu, même heure, avec leurs mentors (compte-rendu à suivre sur Ôlyrix).