Un Sérail zurichois enlevé au TCE
L’Enlèvement au Sérail fait partie des joyaux mozartiens les plus populaires. Inspiré des contes des Mille et une nuits, il retrace avec humour la quête de liberté de deux couples retenus contre leur gré par un pacha réputé cruel. Les actualisations de cette œuvre sont légion : la mise en scène présentée au Festival d'Aix-en-Provence 2015, affiliant ce pacha à Daech avait d’ailleurs provoqué de nombreux débats.
La version concertante présentée au Théâtre des Champs-Elysées révèle le véritable potentiel évocateur de l’œuvre, sans artifice de mise en scène. L'Orchestre La Scintilla, venu de l'Opéra de Zurich, se montre performant, rigoureux et à l’écoute de son chef Maxim Emelyanychev. Ce jeune directeur musical déjà très talentueux et ayant fait ses classes au Conservatoire de Moscou est lauréat de plusieurs prix prestigieux. Il se montre en tout cas à la hauteur des attentes du public parisien. Il reviendra in loco à deux reprises cette saison, pour Rodelinda (réservez ici) et pour le récital de Joyce DiDonato (réservez ici).
Maxim Emelyanychev (© Julien Mignot)
Entre deux représentations mises en scène à l'Opéra de Zurich, la brillante distribution de la maison suisse effectue un passage à Paris où elle ravit le public averti et pointu, comme celui des amateurs débutants. Chaque interprète est imprégné de son personnage et connait la partition par cœur. Très complices entre eux, ils s'accordent parfaitement dans les différents ensembles de l’œuvre. C’est Pavol Breslik (à entendre dans la Flûte enchantée à Paris en janvier -réservez ici) qui interprète le jeune premier, Belmonte. Bien que sa voix soit naturellement ronde et colorée, il semble parfois la forcer pour prouver le potentiel de son timbre. Ses airs sont toutefois parfaitement exécutés avec une douceur incomparable. Très à l'aise scéniquement, il plonge le public dans une musicalité emplie d'une ivresse innocente : celle de l'Amour avec un grand A. Avec une facilité apparente, sa voix emporte le public dans un voyage fait de délicatesse et de légèreté.
Diva très attendue dans le ténébreux rôle de Constance, Olga Peretyatko remporte l’adhésion de tous. Récemment récompensée aux Echoklassik 2016, elle est aujourd’hui réclamée par les plus grandes scènes internationales. Imperturbable dans ses deux magnifiques robes d'une élégance rare, elle fait évoluer son personnage au fil de l’œuvre, passant par différents sentiments extrêmes de manière convaincante. Ses aigus sont sonores et légers comme ceux d’un rossignol. Sa voix parfaitement projetée offre un timbre délicat qui donne quelques frissons. Seuls ses graves, difficilement atteints, pourraient être plus riches. Son premier air, Ach ich liebte, provoque des trépignements de la part du public.
Olga Peretyatko (© Scholzshootspeople)
La jeune soprano Claire de Sévigné, lauréate de plusieurs concours internationaux et membre de l'Opéra Studio de Zurich, intègre son rôle de Blonde avec brillance. La voix est volontairement fragile. Elle assure les aigus avec une légèreté et une finesse transparente. Les intentions et les expressions rebelles sont maîtrisées par la chanteuse, qui incarne donc une Blonde parfois mesquine mais aussi sensible et mignonne. Pétillant et léger, Michael Laurenz est un Pedrillo éclatant. Également à l'aise scéniquement, il charme le public par ses jeux de nuances surprenantes : depuis le pianissimo presque chuchoté jusqu'au forte dynamique et enjoué. Le ténor provoque un rire général lorsqu’emporté par son personnage, il repousse son partenaire Pavol Breslik en criant de l'allemand.
Le basse Nahuel Di Pierro incarne un gentil Osmin. Le chanteur argentin, habitué des scènes parisiennes, dispose d’une voix profondément chaude et envoûtante qui ressort dans le climat cérémonial voire scolaire d’une représentation concertante, même si ses extrêmes graves manquent de projection. Le comique du duo associant Osmin et Pedrillo pour chanter la gloire de Bacchus (Viva Bacchus !) dévoile l'autre facette, plus légère, du personnage de bourreau.
Nahuel di Pierro (© Alvaro Yanez)
Riche idée, l'opéra étant en allemand avec des dialogues non surtitrés, un résumé en français est effectué entre chaque morceau. Pour animer la soirée, l'acteur Sam Louwyck joue ainsi le rôle du Pacha Selim qui se transforme par moments en un pittoresque narrateur. Confortablement installé devant une petite table en bois, accompagné de son texte et d'un café, il est à la fois juge, intervenant et spectateur proche du public. Le chœur de l'Opéra de Zurich ne dispose que de deux courtes acclamations au Pacha Selim pour faire entendre son talent, mais cela suffit à illuminer la salle. Rythmé par des percussions triomphantes, il bondit avec de généreuses couleurs vocales.