Elina Garanca : Revive, un disque rêveur et revigorant
Elina Garanca complète certes son album avec certains (rares) opéras dans lesquels le rôle principal est tenu par une mezzo : Didon dans Les Troyens de Berlioz, Samson et Dalila de Saint-Saëns, Mignon d’Ambroise Thomas et Charlotte dans Werther de Massenet (éventuellement, cette liste pourrait contenir Hérodiade, le rôle-titre dans l'opéra de Massenet, mais c’est davantage la soprano Salomé qui en est l’héroïne). Garanca emprunte aussi certaines arias aux sopranos (“Voi lo sapete” de la paysanne Santuzza dans Cavalleria Rusticana de Pietro Mascagni (un rôle qu'elle reprendra dès la fin de l'année à Bastille) et “Ecco: respiro appena ... Io son l'umile ancella” issu d’Adriana Lecouvreur par Francesco Cilea), preuve de son registre exceptionnel. Les 14 pistes de cet album abordent 13 opéras différents. Adriana Lecouvreur revient certes deux fois, mais pour deux airs chantés par des personnages avec des voix différentes : “Acerba voluttà, dolce tortura” est un air de la Princesse de Bouillon (écrit pour une mezzo-soprano) alors que “Ecco: respiro appena…” est pour la soprano Adriana. Elina Garanca est sans doute l'une des seules chanteuses à pouvoir chanter ainsi différents registres d’une même œuvre.
Tout au long de cette heure de musique, l’Orchestre de la Communauté valencienne est débridé, charnel même dans les passages allants et sautillants. Dirigé par Roberto Abbado (le fils du pianiste compositeur Marcello Abbado et le neveu du célébrissime chef d'orchestre italien Claudio Abbado), l’ampleur de sa pâte sonore est généreuse en couleurs espagnoles immédiatement reconnaissables. Surtout, les instrumentistes ne gonflent leur son qu’après les entrées de la chanteuse et, d’une manière générale, ils laissent absolument la préséance au chant. Dans de telles conditions musicales, Garanca prouve une fois encore toute sa virtuosité. Bien entendu, elle le fait dans les ornements de sa voix, son généreux vibrato, la qualité de sa diction et de la mise en place rythmique. Mais, en outre, Garanca est virtuose dans ses passages d'un registre terrestre à un registre solaire, sans comparaison possible avec les autres artistes lyriques actuelles. L’étoile lettone passe avec un naturel incroyable, sans même que l'auditeur ne s'en aperçoive, de la voix de poitrine à une voix de tête qui s'envole dans de vertigineuses vocalises (notamment dans “Nel giardin del bello” de Don Carlos). Sa signature vocale, qui fait le lien entre tous ses registres, est un timbre sombre et mélancolique, même lorsqu'elle déploie toute sa matière (et quelle matière puissante, puis ciselée !) Cette couleur s'obtient par l'association de lèvres presque fermées et, à l'inverse, d'un fond de bouche très ouvert. Une telle production du son entraîne certes un bémol : elle amoindrit l’intelligibilité. Revive est donc un album à écouter avec le livret constamment sous les yeux ou bien en se laissant porter par la beauté d'un chant émancipé du sens des mots. Ce constat sera d’autant plus flagrant pour les francophones dans les six pistes dédiées à la langue de Molière que compte l'album (cela étant toutefois l’occasion de noter le remarquable hommage de Garanca à notre pays : à une chanson près, la moitié du disque est en français, aux côtés d’une mélodie en russe et de sept en italien).
Elina Garanca (© Paul Schirnhofer / DG)
De la première à la dernière mélodie, la puissance dramatique est constante. Les contrastes de registres sont vocaux et dramatiques : les vocalises dans les jardins de Don Carlos répondent aux contrebasses menaçantes de Samson et Dalila, avant que l'orchestre ne s’en retire pour laisser admirer les passages de l'aigu à l'infra-grave de la mezzo. Autre exemple de cette variété, concentrée en un seul air : "Ecco: respiro appena..." respecte doublement le titre : Garanca emploie à peine de souffle pour offrir cette douce berceuse et elle laisse l'auditeur sans voix, respirant à peine. Bien que prenant à peine d'air, Garanca finit la pièce en deux crescendos vibrés d'une longueur incroyable (le disque permet de constater qu'ils durent chacun près de 13 secondes !). Elle achève son tour de force couronnée dans l’ultime air Reine je serai reine d’Anne Boleyn, deuxième épouse du roi Henri VIII dans l'opéra éponyme de Saint-Saëns. Le frémissement des cordes et de la harpe avec le son lointain des cors referme ce vaste panorama.
Garanca impressionne au disque, mais elle est aussi une grande actrice qui prend toute sa mesure sur scène : elle chantera le rôle-titre de Carmen à l’Opéra de Paris aux côtés de Roberto Alagna et Abdrazakov (cliquez ici pour réserver et attention, pour voir Garanca, bien choisir la représentation du 16 juillet… sans cela les autres distributions valent aussi le détour !)
Vous pouvez aussi commander vos places pour Cavalleria Rusticana / Sancta Susanna, toujours à l’Opéra de Paris, et qui sera donné dès la fin de cette année.