Falstaff, sombre classique en ouverture de saison à Venise
L'ouverture du Sipario (rideau d'avant-scène) avec un mouvement léger et dynamique plonge immédiatement le public dans un théâtre classique élisabéthain correspondant à cette œuvre inspirée de Shakespeare et promettant un voyage lumineux et magique mais qui n'en sera pas moins scandaleux avec Falstaff. Le théâtre du globe constitué par le scénographe Dick Bird se construit sur des étages comme autant de cellules enfermant des personnages.
Le metteur en scène Adrian Noble décrit sa mise en scène comme un pont entre le Moyen-Âge et le Puritanisme, comme si Falstaff venait de la barbarie de celui-là bouleverser l'ordre établi de celui-ci. Falstaff creuse ici un caractère sinistre, sombre même (qui le rapprocherait presque de l'univers d'Otello, un autre grand opus Shakespearien de Verdi). La scène dans la forêt est d'autant plus sombre et incontrôlable mais la fin joyeuse et comique paraît de fait excessive par comparaison. Entre masques tribaux et monstre aux yeux rouges, l'arrivée du chœur se mêle aux danses des filles fées, avant que tout le plateau se mette sagement en ligne pour le finale.
L'Orchestre est dirigé par le chef Myung-Whun Chung, bien connu et décoré par la Corée, l'UNESCO, la France, mais aussi par l'Italie et la ville de Venise. Il ouvre donc cette saison lyrique en soulignant la virtuosité de la partition, dans une intensité constamment présente et précise. Il renforce les échos entre les styles, soulignant combien Verdi revient à une maîtrise classique (avec fugue et contrepoint) à la fin de son catalogue tout en basculant à travers les états émotionnels, du grand comique à l'intensité lyrique, de la chasse à la sérénade. Les tempi sont vifs ou étendus, s'appuyant sur une distribution homogène.
Nicola Alaimo habitué du rôle-titre dans le monde entier offre au personnage un phrasé élégant, une vocalité ronde et presque douce comme pour mieux révéler ses teintes ironiques et faire détonner une cadence grave avec des inflexions aisées. Ses phrasés sont déclamés avec l'agilité de la parole et la familiarité du rôle. Dans le rôle de Ford, Vladimir Stoyanov livre une performance marquante, alliée à sa réputation internationale. La voix est timbrée et homogène (sauf dans les aigus vifs) mais riche en harmoniques. Le phrasé est précis et incisif avec un accent savamment dosé, dessinant un personnage introverti et grincheux mais dans une retenue british.
Tout aussi précis et placé, vocalement et rythmiquement, le ténor américano-mexicain René Barbera déploie la virtuosité et le timbre lyrique léger de Fenton, jouant avec assurance sur le clair-obscur de sa ligne de chantée, assurée tout au long de l'opéra et notamment dans les duos d'amour riches en souffle. Caterina Sala en Nannetta sculpte la note sentimentale de l'histoire, dans la pureté de sa ligne et l'extension de sa voix pleine d'agilité. La justesse de la couleur suit l'inflexion du phrasé. Leurs deux timbres se marient par la vocalité contrôlée, légère et lyrique à la fois.
Selene Zanetti incarne Alice d'une une voix forte et en en verve, sa vitalité et vivacité articulant avec clarté dans une diction homogène et compacte. Sara Mingardo campe Mrs. Quickly avec la certitude de sa maturité scénique et vocale, assimilant l'esprit britannique tout en déployant une diction italienne modèle. Veronica Simeoni est une Mrs. Meg Page élégante au style vocal ample et richement mis en valeur.
Christian Collia chante Cajus avec l'éclat et la musicalité de son médium, au service du rôle sans tomber dans la caricature grotesque (mais là encore avec une forme de retenue) comme Bardolfo et Pistola : Cristiano Olivieri à l'émission vocale facile et Francesco Milanese d'une vitalité affirmée.
Le Chœur dirigé par Alfonso Caiani offre des accents nobles, mais amusants et pinçants. Les mouvements chorégraphiques de Joanne Pearce sont bien orchestrés, mais se concluent sur des mouvements très simples, au risque du scolaire à l'image des accessoires et les costumes de Clancy (qui bénéficient néanmoins des tissus offerts par la Fondation Mariano Fortuny, maison qui célèbre en 2022 son centenaire).
Toute la compagnie artistique reçoit un triomphe, avec des pics d'enthousiasme pour Nicola Alaimo et Myung-Whun Chung.