Musiques du Louvre au Louvre avec Adèle Charvet et Le Poème Harmonique
Le programme du concert réunit en effet les musiques qui pouvaient être entendues au XVIIe siècle, alors que le Louvre était palais royal et tandis que Versailles "n'est encore qu'un hameau" comme le rappelle Vincent Dumestre dans sa note d'intention. La soirée offre ainsi une page d'histoire passionnante et très riche, aussi bien en styles qu'en affects, alternant joies et peines, par des extraits de Symphonies, Ballet Royal, des airs de stances et d'opéras mais également des improvisations et même des chansons populaires. Les compositeurs officiels alternent ainsi avec des anonymes, le programme mettant à l'honneur toutes les musiques du Louvre, aussi bien celles divertissant la Cour dans de grandes fêtes, celles émouvant les appartements privés, que les airs de rue qui pouvaient traverser les royales croisées ou résonner dans ses cuisines. Le concert est néanmoins séquencé entre trois parties successives et autant de langues : d'abord en français académique pour les œuvres de la noblesse (Lully, Lalande, Charpentier, Moulinié), puis le "vieux français" pour les chansons et enfin l'opéra en italien (Cavalli par-dessus tous) : cette succession illustrant ainsi l'arrivée en France et à la Cour de cet art savant-populaire transalpin, sujet auquel nous avons consacré une série Air du Jour.
La mezzo-soprano Adèle Charvet s'appuie pleinement sur la riche diversité de ce programme, déployant un grand investissement vocal qui consiste à multiplier ses élans et accents : dans chacun de ses airs, dans chacune de ses phrases même. Elle projette ainsi, incessamment, des aigus bondissant sur les morceaux guillerets ou plonge dans de graves sanglots pour les passages mélancoliques. Elle fait rouler l'accent vieux français, danser l'italien, strier chaque tenue, vibrer chaque fin de phrase. Ses gestes et son visage, charmeur ou froncé, suivent ces variations expressives et s'allient notamment au médium aigu dans un effet d'envoutement rappelant Carmen (rôle qu'elle prenait l'année dernière à Bordeaux, et aux côtés duquel elle chantait Mercedes la veille de ce concert pour la première date d'une série s'étendant sur quatre mois à l'Opéra de Paris). Toutes ces intentions et attentions, ou plutôt chacune d'entre elles est un moment surgissant dans un phrasé et une voix qui paraissent sinon et fondamentalement ténus et blanchis.
L'ensemble instrumental sait fort heureusement dialoguer avec la voix, répondre à ses accents, les encourageant et les nourrissant tout en s'astreignant à un volume mesuré (l'effectif de six instrumentistes paraît en cela idoine, à la voix ainsi qu'à l'acoustique équilibrée en résonances feutrées du lieu, et à l'enjeu de cette histoire du Louvre comme dans un salon musical).
Les musiciens peuvent s'en donner à cœur joie dans les morceaux instrumentaux, suivant et prolongeant les élans de Vincent Dumestre au théorbe, faisant même claquer les archets. Les deux violonistes lancent un dialogue presque sur du crin celtique, les cordes graves résonnent et le tout et soutenu par le bondissant clavecin de Camille Delaforge (par ailleurs directrice de son Ensemble Le Caravansérail).
Les morceaux s'enchaînent ainsi avec l'éloquence naturelle de leurs contrastes, dans les échos les uns des autres (parfois liés par une note tenue), sans autre interruption que quelques moments d'accordages et d'applaudissements qui éclatent, sonores, à la fin du concert.
Les deux bis résument la concorde lyrique franco-italienne du soir : "Amour, vois quels maux tu nous fais" de Cadmus et Hermione (Lully) que Louis XIV alla admirer en traversant la Seine pour rejoindre le jeu de paume du Luxembourg, puis le Lamento du Xerse de Cavalli (invité pour le Roi en France par Mazarin).