David et Jonathas de Charpentier : à Versailles, la Chapelle Royale se fait Théâtre
Dès l’entrée dans la Chapelle Royale, le public sait que la soirée sera placée sous le signe de la solennité et du théâtre. L’immense dais rouge semblant descendre de la voûte évoque les grandes cérémonies religieuses ainsi qu’un rideau de théâtre qui en s’ouvrant laisse apparaître le magnifique autel du lieu. Les décorateurs Antoine et Roland Fontaine ont imaginé, en plus de la scène surélevée, une structure s’intégrant parfaitement à l’architecture du lieu, épousant les arcs de la chapelle et devenant un espace de jeu.
L'œuvre de Charpentier, possède en elle-même tous les éléments justifiant aussi sa place dans un édifice religieux. Commandée par le collège des jésuites Louis le Grand, le livret du père Bretonneau relate l’amitié infaillible, l’amour, entre David et Jonathas, sujet tiré de l’ancien testament qui lui vaut sa double dénomination de tragédie lyrique et de tragédie biblique.
C’est cependant le théâtre qui était à l’origine de l'œuvre (dans un but pédagogique, elle devait s’insérer entre les actes de la pièce Saül), mais de fait la partie musicale seule et sans narration s’en trouverait peu compréhensible, sans le travail scénique de Marshall Pynkoski réalisé ici. Chaque personnage est caractérisé par une gestique, une attitude comme par exemple Saül le tourmenté sans cesse en mouvement ou encore Joabel (jaloux et désirant la mort de David) qui n'apparaît jamais sans son épée qu’il semble chérir. Les personnages jouent avant leur intervention musicale et en bord de scène, ce qui leur confère une épaisseur dramatique, une vie propre. Quelques éléments renseignent également sur la vie des personnages avant le drame, telles ces bannières brandies triomphalement à l’arrivée du chœur et qui montrent David tenant la tête de Goliath, rappelant cette victoire et justifiant sa place honorifique auprès du roi Saül. La mise en scène aussi sculptée par les lumières d'Hervé Gary intègre également les chanteurs du petit chœur ainsi que les danseurs, tous personnages de l’opéra. Les chorégraphies de Jeannette Lajeunesse Zingg respectant la gestique baroque (qui était précisément notée à l’époque) s’intègrent tout autant à l’action dramatique.
Les artistes ont ainsi collaboré à ce projet dans une même direction et cohérence de l’ensemble, rehaussée par les costumes signés Christian Lacroix assisté de Jean-Philippe Pons, somptueux, moirés. Les tissus des héros guerriers évoquent le bronze des armures, la figure incarnant l’ombre de Samuel est tout de blanc vêtue, tandis que le costume de la Pythonisse qui l’invoque est extravagant, baroque, avec force tissu, gros nœud à l’arrière, masque pailleté.
Le résultat au final, s'appuyant sur cette richesse et cohérence du travail (Marshall Pynkoski et Jeannette Lajeunesse Zingg sont familiers du Château de Versailles, mais de l'Opéra Royal) n'offre pas dans la Chapelle un oratorio qui serait richement et activement mis en espace, mais une véritable mise en scène.
La partie musicale est confiée au chef Gaétan Jarry, connaisseur et habitué des lieux et à son Ensemble Marguerite Louise (prénom de la cousine et muse de Couperin, chanteuse adulée à la cour). Avec beaucoup d’énergie, il emmène ses troupes au plus près de la partition très variée de Charpentier. Les ouvertures et les danses sont vigoureuses et festives, les récits accompagnés sobrement. L’orchestre placé devant la scène occupe cependant une place sonore prépondérante, un effet acoustique absorbant souvent les chanteurs dans le son de l'ensemble et rendant parfois le discours difficilement audible (mais le public ne perd pas le fil de l’histoire grâce au surtitrage sur des écrans de chaque côté de la chapelle).
Les protagonistes sont interprétés par un chapelet de chanteurs experts du style baroque. Au sommet de la distribution, Reinoud van Mechelen offre au rôle de David sa voix de haute-contre (ténor à la française utilisant le registre de tête pour les aigus) et parvient à passer l’orchestre sans encombre, exprimant sensiblement son tiraillement entre gloire et désespoir. Dans une projection sans faille et une articulation rendant superflus les surtitres, il invite les guerriers à honorer le Dieu qui leur a donné la victoire puis son affliction d’avoir perdu Jonathas s’exprime dans les étirements de notes et les déchirants « Ciel » ou « Hélas ».
Le rôle de Jonathas est confié à la soprano Caroline Arnaud dont la voix fine rappelle que ce rôle était chanté à la création par un enfant. Si ses premières interventions demeurent confidentielles et si sa ligne se raidit quelque peu à vouloir coller au drame, la voix émerge dans toute sa sensibilité au moment de sa mort, le continuo réduit permettant à ses plaintes de toucher le public qui savoure sa faculté d’orner les sons de mordants, de trilles et de vibrato.
David Witczak incarne le Roi Saül avec conviction, aussi bien théâtralement que vocalement, gagnant en présence au fil de la soirée. Oscillant entre autorité et désarroi, sa voix de baryton épouse les différentes dynamiques de sa partition et s’il disparaît quelque peu dans le grave de la tessiture, sa projection vigoureuse et sa voix vibrante intensifient toutes ses interventions.
François-Olivier Jean offre toute sa truculence de jeu pour le rôle de la Pythonisse (Pythie). Essentiellement utilisée dans son registre de contre-ténor, sa voix centrée et ample est convaincue dans ce personnage de prophétesse et il invoque Samuel par une projection vibrante qui déclenche tonnerre et éclairs.
La tonicité physique du ténor Antonin Rondepierre sied à la hargne de Joabel et ancre sa voix dans une certaine force pour exprimer son dépit et son désir de vengeance.
Les voix graves de Geoffroy Buffière et Virgile Ancely pâtissent de l’acoustique du lieu et parviennent dans une certaine douceur aux oreilles du public. Le premier, l’Ombre de Samuel, laisse entendre des profondeurs impressionnantes néanmoins, et le second, Achis, teinte son rôle d’une certaine humanité, sa projection faisant poindre sa position de roi des philistins.
Les parties de chœurs sont réparties entre un grand chœur placé sur le côté, ne participant pas physiquement à l’action, et un petit chœur composé de huit chanteurs incarnant des personnages et interprétant les petits rôles de l'œuvre (dans une certaine confidentialité). Tous ensemble marient leur timbre dans un ensemble lumineux, emplissant la chapelle de sons riches.
Le succès de l'œuvre à l’époque lui valut d’être reprise dans d’autres collèges jésuites. Le public debout acclamant les artistes souhaite visiblement qu’un même succès prolonge les échos de cette tragédie biblique (encore donnée à Versailles en ces 11 et 12 novembre) dans d’autres chapelles, royales ou autres.