Résurrections à Radio France, Mahler à réveiller les morts
La puissance sonore de cette Symphonie interprétée par l'Orchestre Philharmonique de Radio France en grand format et en pleine forme emplit pleinement l'acoustique de l'Auditorium, avec un volume "à réveiller les morts" comme le dit l'expression que le metteur en scène Romeo Castellucci a prise cet été au pied de la lettre, mettant en scène cette Symphonie au Stadium de Vitrolles dans le cadre du Festival d'Aix-en-Provence, déjà avec la soliste Golda Schultz. Mais ce soir c'est la seule force de la musique qui vient marquer les esprits, d'images sonores extrêmement puissantes. Pour ne pas simplement marteler les tympans, la phalange ne se contente pas d'un paroxysme de décibels : ces sommets sonores sont soignés, théâtralisés (même sans mise en scène : les trompettes qui dressent leurs pavillons à l'horizontale parfaite, vers les auditeurs, et suivies bientôt par les vents, est une forme de "mise en espace" acoustique des plus marquantes, pour les yeux comme les oreilles). Et bien entendu –c'est le cas de le dire–, ces sommets font leur plein effet car ils sont accompagnés, précédés et suivis de moments de grande délicatesse, jusqu'aux nuances infimes. Le chef Mikko Franck participe d'ailleurs lui aussi à une forme scénographiée de résurrection : il entre avec une béquille pour soutenir légèrement sa marche mais qui semble surtout faite ce soir pour qu'il la pose une fois arrivé au podium et qu'il la troque contre sa baguette : une métaphore de l'élévation du corps vers les sphères célestes de la musique. De cette baguette, le chef se plaît même tout particulièrement à ménager des temps de silence entre les moments et mouvements musicaux, à prendre tout son temps sur chaque phrasé et chaque section pour d'autant mieux servir les contrastes. En cela, il sert la partition de Mahler dont la clef essentielle repose sur les climats d'abord séparés puis qui dialoguent avant de se superposer : la fougue ici grondante, le funèbre ici martial, le champêtre ici léger. Il sert également les intentions du compositeur exprimées littéralement dans ses indications de tempo : "d'un bout à l'autre avec une expression grave et solennelle", "Très modéré. Sans presser", "tranquille et coulant", "très solennel, mais modeste" avant le cinquième et dernier mouvement qui trouve là aussi l'effet demandé : "Comme une violente explosion".
Ce sommet sonore final, cette explosion avec tutti orchestral, choral et lyrique, le tout renforcé par l'orgue est un feu d'artifice couronné par l'aigu rayonnant de la soprano Golda Schultz, artiste habituée des Résurrections : de cette Symphonie de Mahler à Aix et à Verbier mais aussi de la résurrection thématique dans l'opéra Parsifal, ainsi que du travail de résurrections d'œuvres de compositrices. La soliste qui danse sur sa chaise lorsque les violons jouent de leur instrument comme d'une guitare, devient la prêtresse de quiétude dans cette cérémonie musicale en se levant. Quoiqu'installée au milieu des rangs de l'Orchestre avec sa collègue soliste lyrique, à la gauche des harpes, elle pose son rayonnement vocal sur le berceau du chœur en fond de salle. Dans sa quête de luminosité naturelle, son très ample vibrato ne perd pas la note, même si les aigus menacent de se relâcher. Elle sait alors marteler des accents dans le médium pour pleinement compenser.
Gerhild Romberger lui répond et dialogue avec elle en prêtresse cérémonielle, accompagnant ses phrasés de souples mouvements de bras comme pour un prêche. L'attitude et le chant sont expressifs et autonomes mais ne profitent de fait pas de la richesse orchestrale –de timbres et d'intensités– qui joue avec elle, idem pour son duo avec la soprano (alors que les deux femmes affichent leur complicité). Entre mezzo et alto, Gerhild Romberger trouve la rondeur et la chaleur de son timbre mais par un placement engorgé, ce qu'elle vise à compenser par le vibrato qui fait déborder les notes vers l'aigu. Le velouté reste présent, ainsi que la longueur de souffle, mais passe en retrait face aux nuances intermédiaires de l'orchestre.
Dans les travées derrière l'Orchestre, le Chœur de Radio France (préparé en cette occasion par Josep Vila I Casañas) pose le caractère homogène de voix profondes, sépulcrales pour les basses, avec quelques reflets de clarté apportés à la matière par les sopranos. Les voyelles complémentent les couleurs de l'ensemble, mais des consonnes désynchronisées viennent rompre le charme spirituel des interventions, à la fois caractérisées et suspendues.
L'acclamation sonore, finale et soutenue du public qui remplit l'Auditorium pour ce concert pourtant donné en plein milieu des vacances scolaires et deux fois en deux jours, est à la mesure du finale tonitruant de cette pièce, c'est dire.