Le Chercheur de trésors, joyau retrouvé à l’Opéra National du Rhin
Le Chercheur de trésors capté à l'occasion de cette production à l'Opéra National du Rhin sera retransmis ici même le 26 novembre à 20h via France Musique :
Alors que l’Opéra National du Rhin fête ses 50 ans cette année, la première du Chercheur de trésors (Der Schatzgräber) tombe à point nommé, puisque 10 ans après une autre première française, celle du Son lointain (Der ferne Klang) également de Franz Schreker, donnée en 2012 à l’Opéra National du Rhin. Tout comme Le Son lointain, Le Chercheur de trésors, créé en 1920 à l’Opéra de Francfort, connaît d’abord le succès, puis les vicissitudes d’une œuvre qualifiée de « musique dégénérée » [sic] par le régime nazi, qui se voit interdite puis oubliée.
Notre présentation en grand format : L'Opéra National du Rhin exhume un nouveau trésor
L’œuvre prend sa source dans un évènement et une expérience sonore vécus par le compositeur lors d’un séjour dans les Alpes autrichiennes : la transfiguration d’une pièce et de son atmosphère grâce au seul chant d’une jeune fille, nommée Els, accompagnée de son luth. Ce son qui éveille les sens est au cœur du drame représentant le ménestrel Elis, mandé par le pouvoir royal de retrouver les bijoux perdus de la reine à l’aide de son luth magique. Placée dans un Moyen-Age et un royaume fictifs, l’histoire s’apparente, de prime abord, à un conte de fées. La mise en scène de Christof Loy invite cependant à en douter : le drame semble se dérouler au début du XXe siècle, l’époque même de Schreker, dans la vaste pièce d’un palais aux teintes entièrement anthracites, éclairée d’une lumière froide. Un vide et une absence totale de vie émane de cette scénographie : la grande cheminée centrale est fermée et surmontée d’un grand cadre doré sans représentation picturale. Dans ce décor sévère, l’énergie et l’impulsion provient des personnages, qui, vêtus en costumes d’officiers également anthracites, ou en robes rouges (couleur du désir) entrent et sortent par deux portes latérales, mus par leurs désirs propres et leurs illusions. Cette exubérance de mouvements, qui rejoint la densité du tissu orchestral, atteint son paroxysme dans le troisième acte où la nuit d’amour d’Els et Elis est évoquée par une orgie de corps s’enlaçant jusqu’à l’épuisement durant tout l’interlude orchestral. Si ce choix scénique rappelle la pulsion de vie liée à la musique et les paroles d’Els : « la mort s’est faite vie, et la nuit, jour. », il risque néanmoins d’oblitérer la puissance visuelle avant tout destinée à l’orchestre.
Le ténor Thomas Blondelle incarne un Elis plein d’ardeur, au jeu vif et délicat. Son timbre fait miroiter des médiums mordorés et des aigus aériens. Il maîtrise sans effort les exigences vocales du Konversationstil propre au style Schrekérien, alternant de doux mezza voce, des chuchotements, ainsi qu’un lyrisme clair à la diction limpide dans les ballades, jusque dans les nuances pianissimi.
Rompue à ce répertoire (elle incarnait déjà Grete dans Le Son lointain), la soprano finlandaise Helena Juntunen est une Els à la voix puissante, qui embrasse (et embrase) avec une égale diction des timbres contrastés : des aigus aveuglants proches du cri, une voix qui s’étrangle sur des pianissimi redoutables pour représenter la supplication, puis un « beau-chant » enflammé. Avec un jeu troublant de sincérité, elle incarne pleinement la femme fatale, l’enfant rêvant d’un autre monde, puis l’angoisse d’une femme partagée entre l’amour et le trésor.
En Bouffon, le ténor Paul Schweinester se distingue par son énergie, alternant cabrioles et immobilité. Ses aigus brillent de légèreté mais demeurent parfois un peu secs, et leur vigueur s’essouffle à la fin du dernier acte.
En Roi, le baryton-basse Derek Welton projette avec force le chant « déclamatif » qui est le sien. Sa voix charnue dévoile des voyelles un peu pâteuses mais une diction modelée. La danseuse et chorégraphe Doke Pauwels, incarne le rôle muet de la Reine, vêtue d’une robe de mariée. Sa démarche souple et langoureuse semble dénuée de personnalité.
Initialement prévu pour Kay Stiefermann (absent pour cause de Covid, comme l’annonce le Directeur Alain Perroux), le rôle du Bailli est assuré par le baryton Thomas Johannes Mayer qui, l’ayant interprété en mai dernier au Deutsche Oper de Berlin, dévoile un grain chaud, une diction parfaite et des fortissimi vigoureux.
En Aubergiste, la basse Per Bach Nissen révèle une voix très enrobée mais non moins distincte. Le baryton James Newby incarne, de son côté, un Gentilhomme parfaitement railleur à la voix bien projetée. Le ténor Glen Cunningham, nouvel artiste de l’Opéra Studio de l’Opéra du Rhin, joue un Greffier vivace au timbre net. En Comte, le baryton Damien Gastl peine d’abord un peu à porter sa voix, puis celle-ci gagne en force et conserve une prononciation modèle. En Albi, le ténor Tobias Hächler souligne de solides et clairs médiums. Ancien artiste de l’Opéra Studio, le ténor Damian Arnold, incarne avec assurance un Chancelier au torse bombé et à la voix pincée, laissant filtrer un peu d’accent anglo-saxon entre les consonnes. En Médecin du Roi, la basse Daniel Dropulja projette une voix puissante mais peu stable.
Sous la baguette fine et efficace de Marko Letonja, les musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg font briller les couleurs chatoyantes du « son Schrekérien » obtenu par les timbres du célesta, des harmoniques de violons et de la harpe. Avec un même soin, placé derrière la scène, les artistes du chœur de l’Opéra du Rhin, colorent avec finesse leurs parties parfois sans paroles, non sans quelques difficultés de synchronisation (mais en mettant à l'honneur, comme la maison le fait au fil des saisons, du travail individuel, en l'occurrence celui de Fabien Gaschy en lansquenet).
Conquis et fasciné par cette interprétation remarquée, le public acclame longuement les artistes et ce chef-d’œuvre qui brille de mille feux en cette première française.