La Petite Renarde Rusée à Vienne réunit amour, nature et poésie
La Petite Renarde Rusée raconte et présente, de manière abstraite et poétique, la coexistence entre êtres humains et animaux (ainsi que leurs deux mondes : le village et la forêt). Les impressionnants décors de Silke Bauer allient une grande virtuosité artisanale avec une puissance de représentation poétique. Un plateau tournant permet de passer avec habileté de la maison des forestiers, à une plongée dans la forêt, comme le travail des lumières de Paul Grilj fait passer de la réalité au fantastique (d’autant que la chorégraphie de Beate Vollack anime ces petits mondes vivants). Ces fondus enchaînés montrent les liens entre ces mondes, l’un étant le double de l’autre, d’autant que les costumes de Doris Maria Aigner permettent aux humains de se transformer en animaux et réciproquement (seuls le forestier et le renard gardent leur identité unique, incarnant la séparation symbolique des deux mondes et espèces). Comme le résume le metteur en scène : « [L’art de Janáček] établit un pont entre la nature et la culture, les libérant toutes deux du rapport compulsif et antagoniste apporté par notre civilisation ».
Mélissa Petit est une énergique et adorable petite renarde rusée. Son timbre pur est concentré et poignant dans les percées, seyant parfaitement à son rôle entre l’humain et l’animal. Les passages syncopés et pointés sont exécutés avec netteté et clarté, sans perdre ni précision ni légèreté (même si beaucoup de mouvements corporels sont exigés d’elle). Son duo avec le renard est particulièrement charmant, mettant en valeurs leurs timbres transparents mais faisant aussi contraster leurs éclats et densités (illustrant les conflits entre liberté de la nature et apprivoisement de la société).
Milan Siljanov a un timbre fier et intense, avec de charmantes inflexions sombres, proposant un seyant contraste pour incarner ce forestier plutôt rude (son humanité se dévoile avec aisance dans l’humour de son jeu d’acteur). Le chant fait preuve de maîtrise, de puissance et de précision dans tous les registres qu’il explore avec naturel, assumant pleinement sa place centrale dans la conclusion de l'œuvre où il se fait joyeuse force motrice en synergie avec le chœur.
Alžběta Vomáčková met à profit ses différents rôles (forestière, poule pondeuse, chouette et Mme Pásek) pour montrer les multiples facettes de son timbre velouté et d’une densité d’emblée remarquée. Ses cris perçants mais mélodieux manifestent sa frustration, tandis que la poule et la chouette mettent en valeur sa précision et sa clarté pointées et syncopées, avant d’éclater en lyrisme en duo avec Milan Siljanov.
Traversant les mondes avec aisance, Ya-Chung Huang incarne à la fois le maître d’école (dans des habits qui rappellent ceux d’un célèbre colonel vendeur de poulet frit), le moustique, le teckel, le coq et le pivert. La légèreté et la chaleur du timbre sont mises en valeur par sa sûreté vocale, permettant de passer avec fluidité d’un personnage à l’autre, avec lyrisme comme badinerie.
Jana Kurucová (le renard), d’un timbre clair et pur, déploie son lyrisme avec une qualité ludique pour marquer son entrée scénique. Son incarnation est adorable et dynamique, renforcée par une maîtrise vocale qui lui permet d’assumer précisément les sauts d’intervalle, de conserver le contrôle tout en gardant le naturel.
Levente Páll dans le double rôle du prêtre et du blaireau impressionne par la densité et le caractère ténébreux de son timbre, qu’il met en valeur à l’unisson de son jeu. Cependant, ses nuances pourraient être davantage soignées, et certaines envolées plus enlevées avec légèreté, même s’il ne perd pas de son aisance vocale. Marcell Bakonyi (Harašta) fait preuve d’énergie et d’expressivité pour contribuer aux dynamiques musicales croissantes qui préparent le dénouement.
Le Chœur Arnold Schoenberg (qui vient de fêter son demi-siècle) dirigé par Erwin Ortner offre les voix de la forêt d’une manière grandiose, sans craindre de creuser la part de mystère. Certains de ces choristes et trois Petits chanteurs de Saint-Florian assument également des petites interventions animalières avec un dynamisme primordial.
Giedrė Šlekytė dirige l’Orchestre Symphonique de Vienne avec une grande finesse, traduisant sa compréhension de l’œuvre. Les nuances sont intelligemment ancrées dans le lyrisme des cordes. Moteur principal de la masse sonore, ces pupitres garantissent une progression équilibrée du continuum sonore et des élans dans les passages chantants. De bout en bout, leurs graves assurent un solide tapis sonore qui forme un courant souterrain et bouillonnant. Les vents, en charge des détails les plus fins, produisent des sons précis et scintillants qui soutiennent le caractère badin de certaines scènes.
Ce spectacle du MusikTheater an der Wien, qui aura suscité des rires dans le public, est accueilli par un grand enthousiasme.